L’auteur, géohistorien, professeur émérite à l’Université paris-Diderot est l’auteur de très nombreux ouvrages notamment : Lieux d’Histoire. Essai de géohistoire systématique, Reclus, 1996, Géohistoire de la mondialisation. Le temps long du Monde, Armand Colin, 2007 – (3ème édition) Armand Colin, Collection U, 2016 ; L’invention des continents. Comment l’Europe a découpé le Monde, Larousse, 2009 . Il a depuis longtemps chercher à associer nos deux disciplines en une géohistoire footnote]Introduction à la géohistoire
A. Colin, coll. « Cursus », fév. 2015 –[/footnote]Il propose aujourd’hui un ouvrage grand public, un voyage au pays du petit déjeuner.

L’introduction porte sur la naissance d’un moment spécifique pour s’alimenter.

Il était une fois en Europe au XVIIIe siècle

Dans cette première partie le lecteur découvre comment d’abord dans l’aristocratie et la grande bourgeoisie s’est petit à petit installé, en relation avec l’arrivée en Europe de nouvelles denrées, la mode de nouvelles boissons : café, thé, chocolat. Comment ces consommations se sont peu à peu démocratisées en Europe au cours du XIXe siècle donnant naissance à un nouveau repas : le petit déjeuner, différent tant dans sa composition que dans sa convivialité du déjeuner, du dîner ou du souper dont l’auteur analyse les glissements sémantiques. C’est l’occasion aussi d’une évocation du repas gastronomique à la française, du service à la russe.

Ce petit déjeuner repose sur trois denrées tropicales, issues de trois continents et sont donc le marqueur de la domination de l’Europe sur le monde.
L’auteur détaille le succès de chaque breuvage et leur mode de consommation européanisé. Il montre comment la recherche des trois produits a induit des politiques coloniales, le rôle des grandes compagnies de commerce et les rivalités coloniales qui en découlent. Du troc thé contre opium avec la Chine à la traite négrière transatlantique pour le sucre puis le café Christian Grataloup suit le déplacement des zones de production sous l’influence des compagnies de commerce, faute de pouvoir acclimater la culture en Europe : du thé vers les Indes, du café vers l’Amérique, du cacao vers l’Afrique.

Breuvages et dégustations

L’auteur aborde successivement chaque produit.
La café est la première boisson mondiale, essentiellement consommée dans les pays anciennement industrialisés. Ceux qui le cultivent n’en boivent pas. L’histoire du caféier et du café reprend des éléments déjà abordés dans la première partie, complétée d’une histoire du café, lieu où on peut le consommer.
Le thé, la plante comme son usage sont très anciens en Chine, boisson identitaire à l’époque Tang, au Japon à partir du IXe siècle puis en Inde. L’itinéraire de son expansion est comparable à la route de la soie.
Le chocolat, d’abord boisson puis consommé sous forme solide, est le plus souvent associé à l’enfance alors qu’il fut au départ un amère breuvage rituel méso-américain. L’auteur raconte l’histoire de la tablette et évoque les images stéréotypées des publicités.
Grâce au Maghreb il revient au thé mais à la menthe, une tradition récente comme le montre l’exemple marocain.
Un chapitre est consacré aux instruments indispensables à la transformation du produit brut : feuilles, cerises, cabosses en un produit consommable parmi les documents iconographiques réunis au centre du volume, le moulin à café et son évolution.
Enfin la vedette : la tasse est déclinée sous ses divers formes, en grès, en porcelaine, avec ou sans anse, en bol, mug…

Délices du Nord, labeur du Sud

Le titre rappelle la division entre un Nord consommateur et un Sud producteur mais cette troisième partie traite plutôt de la ou des mondialisations.
Si le petit déjeuner est européen, ces caractéristiques varient de la Scandinavie aux rivages méditerranéens. Sa généralisation date de la révolution industrielle, si le premier repas du paysan est de la soupe, le café ou le thé est ouvrier, démocratisation rendue possible grâce au développement des transports et à la colonisation.

Café, sucre, cacao et thé sont associés à la plantation tropicale dont on peut suivre la diffusion dans le chapitre 17.

Autre produit incontournable du petit déjeuner : les viennoiseries permettent un incursion dans l’histoire de la boulangerie avec le développement de la baguette.
L’auteur aborde ensuite la place des grandes entreprises dans le petit déjeuner avec quelques exemples : Twining ou Tetley pour le thé, Vabre pour le café ou Barry pour le chocolat et quelques firmes de l’agro-alimentaire qui domine le marché des « céréales » (Kellog, Nestlé).

S’interrogeant sur une possible géopolitique du petit déjeuner, Christian Grataloup rappelle les grandes négociations internationales sur les produits agricoles : GATT, OMC, Uruguay round mais présente aussi le commerce équitable qui a d’abord concerné le café et la cacao.

Vers le « p’tit dej » soluble ?

Si le « p’tit dej » européen est né de la première colonisation, sa diffusion mondiale date de la seconde. L’étude des variantes selon les pays montrent des influences mais aussi que le petit déjeuner est un marqueur social malgré la persistance de modèles locaux : sakafo kely malgache, eshink (la bouillie de mil) saharien ou tortillas mexicaines.

Un épilogue en forme de question : faut-il craindre la fin du petit déjeuner menacé par le brunch ?

Un livre bien documenté et agréable à parcourir.