Cette histoire de l’alimentation réunit des spécialistes pour chaque période. Les auteurs inscrivent leur analyse dans le champ de l’histoire culturelle, sans oublier l’histoire des corps, des goûts et des dégoûts. L’alimentation, au-delà, de la satisfaction d’un besoin vital est un acte éminemment culturel : imaginaire, religion, organisation économique et sociale. Le cadre géographique est celui d’un vaste espace, le grand bassin méditerranéen. Une large part est consacrée aux mondes anciens et médiévaux.

Comme pour les autres volumes de la collection Références dirigée par Joël Cornette, chez Belin, on retrouve la qualité des documents iconographiques, un texte dont la rigueur scientifique puise aux plus récentes recherches. On apprécie, comme dans la collection Mondes anciens, la rubrique Atelier de l’historien placé à la fin de chaque partie chronologique sous le titre Clio aux fourneaux.

Préhistoire

L’alimentation au paléolithique et au mésolithique

La très longue période des chasseurs-cueilleurs est marquée par la diversité des phases climatiques et donc de l’alimentation disponible. Longtemps la viande de grands herbivores (rennes, bisons, bouquetins…) a été la base de l’alimentation. Des traces de charognage de gros animaux (rhinocéros, éléphants antiques) ont été observées alors que le petit gibier est soit consommé (lapins en Catalogne, marmottes) soit utilisé comme outils ou parures. Une diversification de l’alimentation apparaît avec le poisson (grotte-abri du Moulin – Troubat, Hautes-Pyrénées) puis l’introduction de végétaux. Sans que l’on puisse parler de tabou alimentaire, les auteures, Sandrine Costamagno et Camille Daujeard, notent la très faible place de la consommation de carnivores, plus rares que les traces d’anthropophagie.

Les auteures rappellent que les animaux fournissent à la fois la viande et surtout la graisse, des outils (os, peaux, tendons) et ont un rôle symbolique (parure, art rupestre).
Elles précisent comment les archéologues élaborent leurs savoirs en ce domaine.

Les premiers paysans

L’objectif n’est pas de retracer la néolithisation mais d’en évoquer les conséquences alimentaires à commencer par les produits laitiers. Le régime alimentaire est largement fonction des ressources locales : plantes et animaux domestiqués. Les céréales dominent, les légumineuses sont plus présentes dans les Balkans et la chasse continue à jouer un grand rôle à côté de l’élevage.

Divers exemples sont présentés, en Afrique du Nord, en Europe centrale. Un encart évoque la domestication des arbres fruitiers.

Clio aux fourneaux de la préhistoire pose la question du cru et du cuit et constate notre ignorance de recettes.

Mondes anciens

Alimentation et société en Mésopotamie

Brigitte Lion s’appuie sur les sources archéologiques et iconographiques pour montrer l’entrée précoce du « croissant fertile » dans l’histoire.

Les productions de base sont l’orge, plutôt que le blé, le sésame, les lentilles et pois chiches mais aussi des fruits : dattes, figues, pommes. Elle évoque le vin et la bière, quelques légumes (navets, concombre…) et l’élevage du petit bétail. L’orge joue un rôle central, confirmé dans les textes des premiers États qui organisent la production et le salaire en nature (grain, huile, laine).

Les textes du IIIe millénaires et les fouilles archéologiques permettent de se faire une idée des rations, de l’équilibre alimentaire et des objets nécessaire à la cuisine (jamais évoqués dans les textes, mais très présents dans les fouilles). D’autres textes éclairent sur les repas royauxExemple p. 83, stèle du banquet p. 90-91.

Nourrir les vivants et les morts

L’auteure aborde ici l’imaginaire de l’alimentation, montrant les valeurs différentes conférées aux aliments, la nourriture des divinités et celle des morts qui les accompagne dans la tombe. Des interdits alimentaires apparaissentExtrait de la Bible p. 112-113.

Clio aux fourneaux du Proche Orient ancien propose des recettes de soupe, de bouillon, de gâteau, le mersum, une sorte de pain sucré. Une nourriture raffinée selon Jean Bottéro, assyriologue et gourme.

Du Nil au désert, l’extraordinaire variété de la diète pharaonique

Damien Agut dispose des riches sources funéraires et de l’archéologie pour documenter la question de l’alimentation de l’Égypte antique. Le Nil apporte l’eau de boisson, les poissons, conservés dans le sel du delta, le gibier des berges et une plante comestible de marécage : le souchet. Par la crue il assure la fertilité. Les céréales : orge, blé dur et amidonnier occupent les terres basses alors que le sorgho et le millet, céréales africaines sont peu présentes. Les céréales sont consommées en pans ou en gruaux.
Sur les terres hautes on trouve des légumes, des vergers : dattiers mais aussi vigne et oliviers avant me l’arrivée des Grecs ainsi que de l’élevage de volailles. Enfin le désert offre son gibier, trop chassées les antilopes disparaissent des représentations, et le miel.

Manger pour se régénérer dans la civilisation pharaonique

Manger est un acte nourricier et purificateur, c’est pourquoi les morts sont accompagnés de nourriture dans les tombes. Manger est, selon l’auteur « une des occupations favorites des dieux » (p. 149). Il évoque à la fois les rituels des offrandes et ceux de la table quotidienne. La préparation n’est pas faite dans la salle du repas où l’étiquette est précise : sobriété et rigueur.
L’alimentation est liée à une vision économico-morale et à des connaissances médicales à propos des excès de nourriture et de l’intempérance. Le jeûne exprime la peine. Les tabous décrits dans les textes grecs ou romains sont à relativiser sauf pour les animaux sacrés.

Clio aux fourneaux  des pharaons : Damien Agut regrette de n’avoir pas de recettes écrites et des scènes peintes difficiles à interpréter.

Grèce ancienne : quotidiens et accidents

Pour les Grecs, blé et vin sont les deux biens indispensables à une époque où le risque alimentaire est présent dans la société antique. Thucydide est une source pour analyser le rapport des Grecs à leur alimentation. La base repose sur les céréales : orge, froment et millet, mal aimé mais présent. Le froment fait l’objet d’un commerce. Les céréales sont consommées sous forme de pains, galettes, la « maza » : préparation de grains d’orge grillés et moulus, mélangés à un liquide (eau, lait ou vin). Le sel est un marqueur de la civilisation ; « partager le sel », c’est partager un repas.

Les aromates viennent compléter les moyens d’apporter plus de goûts comme les olives et les fromages. Les légumineuses (pois chiche, fèves, vesces), les légumes et les fruits sont aussi très présents, ils composent les « opsa ». La viande tient une faible place dans l’alimentation quotidienne mais on la trouve à côté des poissons dans les festins. Au rayon boisson : l’eau dont la qualité dépend du mode d’accès : source ou citerne ; le vin est la boisson de fête.

Jean-Manuel Roubineau évoque les périodes de disettes, le grain est alors une denrée politique pour l’approvisionnement des cités mais les pénuries ont aussi poussé à développer des solutions alternatives.

Identités et altérités alimentaires

L’alimentation était pour les Grecs un marqueur de civilisation (Ulysse au pays des Cyclopes) même s’il existait une certaine diversité en fonction des cités. Trois éléments associés à une divinité sont mises en avant : le blé et Déméter, l’olivier d’Athéna et la vigne dionysiaque. VinTexte d’invention du vin mélangé p. 197 et huile marque la civilisation toutefois la tempérance est une vertu.

Les rituels religieux s’accompagnaient souvent de nourriture et notamment lors du sacrifice animal.

Jean-Manuel Roubineau note également la distinction entre alimentations masculine et féminine, servileQui se caractérise par la consommation de pain non levé ou libre, riche et pauvre. La consommation de denrées sans pain : « opson »est peu vertueuse et synonyme de dérèglement, soumission aux plaisirs du corps.

Face à cette alimentation grecque qu’est-ce qui caractérise les alimentations barbares ? Ce sont les laitages et viandes des peuples nomades (Hérodote). Pourtant le lait faisait partie de la diète grecque. Les Thraces et les Scythes sont présentés comme buveurs de vin pur ; les Arméniens de bière.

Les goûts et les gestes

Dans ce troisième chapitre consacré aux Grecs, Jean-Manuel Roubineau aborde les façons de table et de cuisine.

La journée est rythmée par quatre repas : « akratisma », « ariston », « hesperisma » et « deipnon » alors que le « symposion » est une fête. Le temps du repas était une forme de sociabilité.

Un paragraphe est consacré aux arts culinaires et divers métiers associés. A partir des Ve et IVe siècle on peut parler de raffinement alimentaire. Les Grecs disposaient de divers modes de cuisson représentés tant sur les vases que par des figurines de terre. La vaisselle est représentative des catégories socialesInventaire p. 226, service du vin p. 227.La cuisine est agrémentée d’aromates d’origine méditerranéenne (thym) ou plus lointaine (cannelle) utilisés pour les sauces. A l’époque hellénistique le miel de roseau (canne à sucre) ne remplace pas l’utilisation préférentielle du miel, l’apiculture était très répandue en Grèce.

Enfin l’auteur présente les manières de se tenir à table, notamment la propreté.

Diètes et écarts

Au Ve siècle av. J-C Hippocrate consacre un traité à la diététique. L’alimentation est, selon Acron d’Agrigente ou Dihile de Siphnos, le premier médicament.

Des modes alimentaires minoritaires existent : le végétarisme écrit à partir des auteurs grecs et, à l’inverse, la diète athlétique sur-protéinée.

L’auteur s’interroge sur l’existence d’un alcoolisme au-delà de l’ivresse d’un soir dans une société où le vin se consomme, généralement, en mélange.

Les excès sont condamnés par les dieux, une colère souvent évoquée dans la mythologie.

Clio aux fourneaux de la Grèce antique s’intéresse au brouet noir spartiate, à la boisson à base de farine d’orge : le « kykéon », aux usages alimentaires des roses. Jean-Manuel Roubineau donne la recette de la « maza » et de la « vulve de truie ».

La nourriture romaine au quotidien

Christophe Badel retrouve à Rome la centralité du blé dans le régime alimentaire méditerranéen avec la triade : blé, vin, huile d’olive. Les protéines sont apportées par le « pulmentarium », œufs ou fromages frais consommés avec la bouillie ou seuls. Les légumes secs font figure de viande du pauvre.

Les conquêtes vont apporter de nouvelles denrées. C’est Lucullus qui apporte les cerises quand Pline apprécie le melon grec. Les épices gagnent Rome avec l’expansion orientale.

Cette ouverture donne lieu à un commerce, la ville compte aussi sur les surplus agricoles de la campagne (ceinture maraîchère) ou sur les viviers de poissons.

L’auteur décrit un « régime impérial » qui apporte à Rome les meilleures denrées comme en témoignent Pline ou Apicius. Si l’élite profiter de l’abondance, le peuple souffre de mal-nutrition, carences développées à travers deux exemples, l’alimentation des soldats et celle des esclaves.

Trois repas quotidiens rythment la journée mais seul le dernier, la cène, est un vrai repas. L’auteur évoque ensuite le lieu du repas et les manières de table.
Pour se nourrir le Romain dispose de marchés sur le forum, de foires locales ou régionales. Pour la beauté et l’assainissement des villes certaines boutiques, les boucheries, sont exclues du forum. L’administration cherche à contrôler la qualité et la salubrité des aliments. Le Romain peut se nourrir à l’extérieur de la maison, la »
popina », une sorte de bar-restaurant est un lieu où ,’est pas respectée la hiérarchie sociale.

La politique alimentaire des cités romaines

Assurer la paix sociale passe par la sécurisation des approvisionnements, c’est le rôle de l’Anone. Christophe Badel montre comment est née cette institution impériale à partir des distributions de vivres sous la République, les « frumentationes » à l’époque de Caius Gracchus. Il en décrit des actions et les lieux. Si les famines sont très rares, les crises frumentaires suscite des révoltes.
Un autre aspect de cette politique est la défense de la morale : les lois somptuaires cherchent à
réglementer le luxe des banquets et à promouvoir la frugalité.

Dans les provinces la régulation en cas de crise se fait par les donations des Evergètes aux cités.

Le rite social du banquet romain

Le banquet ou plutôt les banquets car les études récentes en montre la diversité. Si le « convivium » peut être privé ou public, l’« epulum » est un banquet public. Christophe Badel décrit les divers types de banquets : avec sacrifices aux dieux, funérailles, banquets impériaux dans les cités, banquets à la gloire des Evergètes. Les notables participent aux banquets quand le peuple reçoit des distributions de nourriture. L’auteur montre les évolutions au fil du temps. A noter deux encarts : les Romains se faisaient-ils vomir ?, la place des femmes dans les banquets.

Les joies de la Gula romaine

Ce chapitre est consacré à la gastronomie romaine décrite dans les manuels qui permettent aujourd’hui d’en restituer le goût, la « gula » : le plaisir alimentaire.

L’hellénisation joue un rôle dans cette évolution de l’alimentation romaine. Le gourmet le plus célèbre, sous Tibère, est Apicius. C’est sous la république que le métier de cuisinier se développe avant que la cuisine ne soit considérée comme un art sous l’Empire.

Comme en Grèce la diététique tient une grande place au service de la santé et de la morale.

Christophe Badel détaille le goût épicé (garum), sucré/sale et moelleux plus que croustillant. Il consacre un paragraphe au vin et rappelle l’existence d’un commerce « mondialisé » dont les amphores atteste de l’intensité. Pas sûr que l’amateur de vin d’aujourd’hui apprécierait les vins antiques.

Comme en Grèce le goût romain est opposé au goût barbare. Les Germains sont qualifiés par tacite de « mangeurs de racines et de viande crue à peine attendrie sous la selle » (p. 351) ; un mépris nuancé car c’est une alimentation vue comme moins décadente que l’alimentation romaine impériale.

Clio aux fourneaux de la Rome antique présente des recettes à tester en cuisine : potage punique, porcelet farci et le menu d’un dîner amical.

Mondes médiévaux

Tables romaines, barbares, chrétiennes : l’Antiquité tardive

Christophe Badel et Alban Gautier traient de l’antiquité tardive, période de métissage alimentaire entre tradition gréco-romaine et habitudes barbares. L’idéal romain de frugalité se poursuit dans l’ascétisme chrétien.

L’encart sur l’image d’Épinal d’Attila trouve sa source, on l’a vu, dans un chapitre précédent chez tacite.

Les élites tentent, non sans le modifier, de préserver leur modèle du banquet qui passe de la soirée vers midi : le prandium » où le lit en arc de cercle remplace les trois lits distincts. Les auteurs décrivent les manières de table en évolution et leurs significations sociales en développant l’exemple du Palais impérial de Constantinople.
Le Ve siècle est aussi la fin de l’Anone. Depuis Aurélien au IIIe siècle les distributions de vivres contiennent du pain mais aussi de l’huile, du vin, de la viande de porc et elles deviennent quotidiennes. La
capitale de l’Empire d’Orient met en place une organisation semblable à celle de Rome, système de distribution copié dans diverses villes d’Orient comme Antioche. Le but, comme à l’époque précédente, est d’éviter les révoltes en période de pénurie alimentaire.

Que dire le la cuisine ? Romaine, byzantine ou mérovingienne ? La cuisine de la viande est au centre du seul livre de cuisine qui nous soit parvenu. Les auteurs évoquent la continuité et les évolutions des goûts, notamment à l’aide d’un traité d’un médecin de Ravenne. Anthimos, entre médecine et recettes montre l’adaptation aux goûts des nouvelles élites barbares : viande de bœuf, cervoise, hydromel. On constate le recul de l’huile d’olive au profit des matières grasses animales. Enfin la christianisation avec le carême et les jours maigres conduit à un certain ascétisme de l’alimentationEncart sur la Règle de St Benoit p. 377.

De la table des moines à la table impériale : Byzance

Alban Gautier  entend montrer l’originalité de la table byzantine. Le recul des échanges commerciaux modifie l’alimentation avec un recours plus grand aux légumineuses (pois, lentilles, fèves) et aux légumes verts (choux, poireaux…). Si les paysans cultivent toujours l’orge et le blé ils les consomment moins car le grain est vendu pour payer l’impôt. Éléments de continuité, le « garum » et le vin demeurent consommés.

Une nécessité comme à l’époque antique : approvisionner la ville est une tâche confiée à l’éparque. On connaît son action grâce au « Livre de l’Eparque » compilé à la fin du VIIIe siècle. Les deux repas quotidiens sont influencés par la religion.

Les écrits de Liudprand de Crémone, en mission diplomatique à Constantinople, permettent de définir à grand trait la cuisine byzantine, la table impériale et la mise en scène des banquets.

Produire, échanger, cuisiner en Occident

Que retenir de la situation occidentale en ce début de Moyen Age ? Diversité et continuité, la base de l’alimentation reste centrée sur les céréales, les légumes, les légumineuses et le vin. Le déclin du commerce a pu favoriser l’alimentation des producteurs, les paysans des VIIe et VIIIe siècle, peu de viande mais des produits laitiers. Petit à petit un mets devient primordial : le pain, demandé par les élites.

Alban Gautier aborde une question fondamentale : Comment conserver les aliments, pour les transformer, les échanger ? Le salage est la principale technique Carte des sites salants p. 413.

Un paragraphe est consacré au développement de la consommation et de la commercialisation du poisson. Un autre traite du vin.

L’auteur s’interroge sur la nourriture des élites : place de la viande, des épices, du miel pour le sucré.

Jeûnes et festins en Europe occidentale

Les périodes de jeûne imposées par l’Église ne doivent pas masquer les disettes et famines fréquentes.

Le jeûne religieux conduit à la création d’une cuisine du maigre où le poisson est roi.

Après les restrictions, Alban Gautier aborde la profusion : les banquetsReproduction de la tapisserie de Bayeux p. 435 mais aussi les lieux où on prépare la nourriture (importance du four). Les banquets sont décrits par les poètes, ils sont un moment social et politique important.

Clio aux fourneaux du Haut Moyen Age montre qu’il n’est guère aisé de reproduite les recettes d’Anthimos, à peine plus facile pour les rares recettes occidentales comme celle des pommes cuites.

L’alimentation dans le monde islamique médiéval

Mohamed Ouerfelli, dont la thèse porte sur Le sucre : production, commercialisation et usages dans la Méditerranée médiévale, commence son propos par la règle : le licite et l’illicite en terre d’islam. Les seuls interdits sont les charognes, le sang, la viande de porc et les animaux sacrifiés à d’autres dieux.

Pour l’approvisionnement urbain, comme dans l’antiquité, les pouvoirs politiques organisent et encadrent le commerce des denrées alimentaires. De nouvelles cultures se développent au Proche-Orient, le sorgho, le riz introduit dans les marécages du bas Irak et les agrumes. L’auteur décrit l’approvisionnement de quelques villes : Bagdad ; Damas, Le Caire et montre le développement des souks Plan du Caire p. 460.

L’alimentation de ce vaste espace est différent selon la catégorie sociale, les régions et les modes de vie : Bédouins qui consomment lait et dattes, paysans ou citadins. Au début de l’islam le vin est consommé et vanté par les poètesLe vin dans la poésie d’Abû Nuwâs p. 468, avant son interdiction.

Les livres de cuisine, depuis l’époque abbasside, sont écrits pour les princes. L’auteur en cite plusieurs et montre l’influence persane à Bagdad, une cuisine luxueuse, exotique et très carnée. S’y côtoient l’usage du vinaigre, l’aigre-doux et les confiseries. Les repas de fêtes qu’elles soient fatimides, ou mamelouks, sont plutôt ostentatoires.

Les échanges entre monde latin et pays d’islam

Les recherches récentes permettent de nuancer l’idée d’un développement du commerce des épices avec les croisades. Dans la circulation des produits alimentaires on constate pour les céréales un intense commerce en Méditerranée pour l’approvisionnement des villes dans les deux sens, en fonction des bonnes et mauvaises récoltes en dépit des interdictions religieuses. Le pape interdit en 1291 de vendre des céréales aux musulmans tandis que les juristes malikites prônent le même interdit vers les chrétiens. L’approvisionnement tient une grande place dans la diplomatie comme le montre les divers exemples cités.

Les épices, sens très large au Moyen Age (condiments, plantes tinctoriales et médicinales), et des denrées orientales : raisins secs, oranges et sucre arrivent en occident depuis l’Asie via le Proche-Orient grâce aux marchands musulmans et mongols. Contrôler les échanges est très lucratif mais soumis aux aléas politiques. La route de Syrie-Palestine est bouleversée par la chute de Saint-Jean-D’Acre aux dépens de l’Egypte et en faveur de la petite-Arménie, de la Crète et de Chypre. Elle est à nouveau modifiée au XIVe siècle1343 attaque mongole en Crimée, les Italiens, Vénitiens et génois, sont de retour en Egypte.

Mohamed Ouerfelli évoque les cargaisons, leur valeur, leurs marchands. Il consacre un paragraphe au sucre qui conduit, en occident , au développement des confituresRecette de la confiture de menthe p. 492 et des confiseries comme les dragées.

Dans ces contacts on note les apports de la pharmacopée arabo-musulmane à la médecine à Tolède, Montpellier ou Salerne. La Sicile joue en grand rôle dans ces échanges. Certaines pratiques culinaires musulmanes se sont répandues sans qu’on puisse parler d’influence profonde, surtout introduction nouveaux produits : le safran, les agrumes, le sucre déjà évoqué. L’auteur cite quelques recettes orientales trouvées dans les livres de cuisine italienne du XIVe siècle.

Clio aux fourneaux du monde islamique médiéval raconte l’histoire d’un plat persan, le « sikbâg » qui de Bagdad gagne les cours princières du monde. Vous pourrez tente la recette de ce mets aigre-doux à base de viande, de légumes, de fruits et de vinaigre, à accompagner de la « fuqqa’ », une bière.

Ecrire et faire la cuisine dans l’occident médiéval

La codification croissante et les ouvrages de cuisine permettent de connaître l’alimentation des élites à défaut d’approcher celle du peuple qui n’est pas écrite. Les ouvrages sont plutôt datés des XIIIe, XIVe et XVe siècles. Pour les débuts du Mayen Age les historiens disposent des manuscrits de traités médicaux.

Antonella Campanini présente les livres de cuisine, d’abord anonymes, souvent peu précis, notamment concernant les temps de cuisson. Bien que rédigés en langues vernaculaires les recettes sont difficiles à expérimenter. Petit à petit quelques noms apparaissent dont certains sont passés à la postérité, le Français Guillaume Tirel dit Taillevent ou le Savoyard ChiquartCe cuisinier des ducs de Savoie Amédée VIII dicte en 1420 ses recettes Du fait de cuisine au clerc Jehan de Dudens, le manuscrit est conservé à la Bibliothèque cantonale du Valais à Sion. Si vous voulez essayer celle des rissoles, c’est ICI., ou encore Maestro Martino attaché à la papauté auquel l’auteure consacre quelques lignes.

Que nous apprennent ces traités ? D’abord la volonté de surprendre les convives. Pour réaliser des mélanges de goût les cuisiniers employaient de nombreuses épices qui permettaient également de colorer les plats comme le safran. L’auteure note des variations nationales ou régionales.

Le bon gouvernement du marché urbain et de la table princière

C’est l’occasion pour Antonella Campanini de revenir sur les relations villes-campagnes, les grandes disettes médiévales mais aussi sur l’organisation de l’approvisionnement des villes et le rôle des officiers municipaux (Bologne et ses experts en céréales, les « Domini bladi »). Si les grains sont l’objet d’un commerce lointain, Florence reçoit le blé sicilien, les fromages et el beurre sont aussi échangés entre régions alors que les animaux arrivent sur pied. Les techniques de conservation se développent (les macaronis). Les officiers contrôlent qualité, salubrité et prix des denrées natures ou transformées.

Les banquets princiers nécessitent une organisation qui crée de nouvelles fonctions : maître d’hôtel, maître-queux, écuyer tranchant et échanson.

De nombreux documents iconographiques complètent ce chapitre.

Manières de consommer en Occident

Après le quoi, le qui, Antonella Campanini aborde le comment. La hiérarchie sociale imprègne fortement les manières de s’alimenter. Les banquets de coursLes deux illustrations, p. 554-555, montrent les aspects de la table médiévale par l’ostentation du luxe sont des temps politiques.

A partir du XIIIe siècle partout en Europe, les autorités cherchent à limiter le luxe des banquets en promulguant des lois somptuaires. La hiérarchie des aliments suit la hiérarchie sociale. Ainsi les nobles consomment des aliments légersLe classement des aliments est présenté dans la « chaîne de l’être », p. 560, plus proche de Dieu.

Quelle nourriture pour les voyages ? Le biscuit, nourriture du marin, les viandes et poissons séchés, les pâtesEncart : Marco polo et les pâtes p. 568 constituent la base de l’alimentation du voyageur, du pèlerin. Les guides du pèlerin, les récits de voyages évoquent les bons produits des régions traversées et de nouvelles denrées : viande de chameau consommé à Jérusalem par Niccolo da Ponggibonsi, de chien, de loup par Jean de plan Carpin.

Clio aux fourneaux au bas Moyen Age évoque une recette internationale : le blanc-manger, mais aussi les mises en forme étonnantes d’un paon et d’un poisson.

Mondes moderne et contemporain

Florent Quellier, coordinateur de cet ouvrage, se charge en spécialiste de l’époque moderne. Il publiait en 2010, chez Armand Colin, Gourmandise – Histoire d’un péché capital.

Une première mondialisation alimentaire

C’est bien sûr l’époque de l’élargissement du monde et ses conséquences à la fois botanique et alimentaires.avec l’introduction en Europe de nouveaux aliments venus des Amériques. Mais ce sont aussi des échanges vers l’Asie et l’Afrique : manioc, patate douce. Les voyages et la colonisation apportent aussi en Afrique des produits asiatiques : taro, igname et en Amérique : café, canne à sucre. Florent Quellier montre comment on est passé de la curiosité botanique à l’adoption culinaire : piment, tomate et bien sûr pomme de terre. Il traite aussi de l’influence du goût pour les boissons exotiques sur les économies des colonies américaines (café, chocolat).

L’alimentation de l’autre dans l’Europe des temps modernes

Comme aux époques précédentes l’alimentation est un marqueur social, distinction et mépris de l’alimentation de l’autre. Florent Quellier décline les règles de civilité à table et la condamnation des excès alimentaires. Certains plats apparaissent comme lié à l’identité nationale ou régionale ; La fondue suisse est présente dans un texte de 1699 quand le pudding est anglais. L’auteur évoque également les rejets alimentaires et les façons différentes de manger selon que l’on est huguenot, catholique, orthodoxe, riche ou pauvre.

Modernités gastronomiques de l’Ancien Régime

L’époque moderne est celle d’une nouvelle gastronomie, en particulier en France. Florent Quellier décrit la cuisine française, en quoi elle est nouvelle et comment elle se diffuse en Europe dans ses goûts et son lexique. En 1653 on traduit en anglais le Cuisinier français.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle apparaît la cuisine bourgeoise Publication en 1746 de « La cuisine bourgeoise » qui prendra son essor au siècle suivant.

C’est aussi le temps ou certaines spécialités sont associée à un lieu : jambon de Bayonne, moutarde de Dijon, câpres de Gênes.

Où cuisine-t-on ? A la Renaissance se diffuse le tournebroche et le potager Illustration p. 639 qui permet de varier les cuissons tout en économisant le combustible.

On déguste les mets dans la salle à manger et en ville dans un nouveau lieu : le restaurant. C’est l’âge d’or du service à la française : succession de plats déposés sur la table, nombreuse vaisselle, l’assiette plate remplace le tranchoir médiéval, le verre devient individuel.

Clio aux fourneaux des temps modernes

Quelques propositions de recettes : truffes, asperges, salades, la pomme de terre avant Parmentier mas aussi du sucré comme la crème de chocolat et un gâteau qui semble très XXIe siècle : le gâteau aux carottes/

Vers une alimentation mondialisée

Un extrait de « La Bonne Cuisine aux colonies »Par Raphaël De Noter (1931) p. 657 introduit la réflexion sur l’ouverture de l’Europe à de nouveaux mets issus du monde colonial en expansion qui, après les élites sociales, gagne une plus large part de la population. Ce qui a des conséquences sur les agricultures asiatiques, africaines, latino-américaines avec le développement des cultures de rente (thé, cacao). Emmanuelle Cronier et Stéphane Le Bras montrent l’évolution des ports pour accueillir ces produits, le développement de la navigation à vapeur. On assiste à une reconfiguration de la géographie alimentaire, par exemple le Venezuela abandonne la culture du cacao au profit du café. Chicago devient en 1848 la capitale des marchés des matières premières agricoles. L’évolution capitalistique marque l’économie agro-alimentaire au XIXe siècle.

Si des produits parviennent en Europe de l’ensemble du monde, les habitudes alimentaires évoluent peu. Quelques plats gagnent en popularité hors de leur région d’origine comme les pâtes.
Au XXe siècle si les cuisines métropolitaines s’ouvrent lentement, l’alimentation européenne se répand dans le quotidien des colonies même après leur indépendance comme le montre cette photographie (p. 665) d’une boulangerie à Saïgon en 1962.
Un paragraphe est consacré aux effets du développement des classes moyennes : uniformisation de l’alimentation, chaînes de magasins de distribution.
On peut parler d’une géopolitique de l’alimentation à travers les réceptions officielles mais aussi de l’imposition de certaines cultures dans les colonies.

Les industries alimentaires avant 1940

Martin BruegelIl a coordonné avec Marilyn Nicoud et Eva Barlösius l’ouvrage Le choix des aliments – informations et pratiques alimentaires de la fin du Moyen Age à nos jours, Presses Universitaires François Rabelais – Presses Universitaires de Rennes, 2010 caractérise l’émergence de l’industrie alimentaire liée au commerce international du blé et d’autres matières premières agricoles. Ces industries s’installent près des consommateurs (industrie de la margarine en Ruhr). Elles se développent surtout dans la seconde moitié du XIXe siècle tant dans la première que dans la deuxième transformation avec la naissance de la publicité et de l’empaquetage. Des marques naissent qui sont encore connues aujourd’hui : Lu, Amieux, Nestlé, Kellog’s, Maggi…
Faite d’innovations techniques, l’industrie remplace peu à peu les activités artisanales tant dans la minoterie que dans la transformation des viandes. La mécanisation et le travail à la chaîne sont introduits là où les matières premières sont homogènes : distillerie ; brasserie, meunerie, sucrerie. ? La main-d’œuvre féminine domine rapidement (conserveries). Le progrès technique est associé à l’hygiène et à la standardisation. L’auteur évoque le développement des colorants, mais aussi de la législation.

Consommateurs et paniers alimentaires

Martin Bruegel analyse l’évolution des possibilités alimentaires en Europe, désormais sortie des disettes, avec un focus sur l’exemple français. Il constate l’augmentation de la consommation de produits carnés, 12 % de la ration, et des fruits et légumes, vantés au XXe siècle pour leur apport en vitamines. Il montre les disparités régionales et sociales, les évolutions en un siècle et demi.
Si les femmes jouent un rôle majeur dans l’approvisionnement de la famille, elles sont, pourtant, les premières victimes des privations. Le chapitre se termine sur l’évocation d’une mythologie alimentaire : Popeye et les épinards.

Guerre et alimentation à l’époque contemporaine

Emmanuelle Cronier montre comment la faim a été une arme de guerre du siège de Paris en 1870 aux camps allemands de la seconde guerre mondiale. Elle note que dès la fin du XIXe siècle le droit international a chercher à protégé les civils.

L’approvisionnement est un souci pour nourrir les soldats en opération : marins menacés par le scorbut, mais aussi troupes terrestres : biscuits et conserves de viande, cuisines roulantes. L’auteure aborde le ravitaillement des civils pendant les deux guerres mondiales : régulation, rationnement. Si les guerres contribuent à la stigmatisation des identités alimentaires de l’ennemi, paradoxalement elles favorisent la découverte de nouveaux aliments : Tirailleurs sénégalais découvrant la limonade ou les confitures pendant la Première Guerre, introduction en Europe du chewing-gum., sans oublier les édulcorants (fécule, saccharine).

L’auteure montre les images positives ou négatives associées à certains produits dans l’imaginaire des populations.

L’alimentation au temps des paradoxes 1945 – années 1980

Cette époque est celle de la quantité : production de masse, développement de l’élevage. Stéphane Le Bras montre comment la modernité rime avec chimie, alimentation industrialisée et micro-onde. Pourtant, des contre-modèles apparaissent dès les années 1950_1960 : recherche d’une alimentation saine, régime crétois… Si l temps de cuisiner s’est réduit, jamais les livres de cuisine n’ont eu autant de lecteurs.
L’auteur analyse les représentations identitaires dans la publicité, le cinéma.

Clio en quête de repères alimentaires : les peurs (vache folle, OGM), les discours diététiques… le monde occidental est-il malade de son assiette. »Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es » disait Brillat Savarin note cité p. 767 la phrase reste d’actualité : fusion food, slow food. L’identité alimentaire garde toute sa valeur comme le montre l’inscription, depuis2010, d’une presque dizaine de savoir-faire culinaires au patrimoine immatériel de l’humanité.

 

L’alimentation autour de la Méditerranée de la préhistoire au XXIe siècle est une aventure au long court entre continuité et exotisme. A déguster sans modération en un festin copieux ou en grignotant selon ses envies et centres d’intérêt.

Présentation sur le site de l’éditeur : Histoire de l’alimentation