Voilà un hommage rendu à un chercheur atypique, Pierre Pluchon, juriste, érudit et amoureux d’Haïti, c’est l’occasion pour Philippe Hrodej et ses collègues de proposer des approches variées et complémentaires de l’histoire de l’esclavage dans les Caraïbes, du système de la plantation jusqu’à l’abolition. Synthèses ou articles très pointus d’inégal intérêt, ces contributions issues de travaux de recherche, de thèse s’appuient sur des documents inédits, sur des correspondances et nous plongent dans l’univers de la plantation antillaise du XVIIe siècle à 1848.

Après une évocation de Pierre Pluchon, l’introduction dresse un tableau des divers thèmes évoqués dans ces mélanges, organisés en deux grandes parties: esclavages et plantation puis le long chemin vers l’abolition.

L’esclavage, élément moteur de la plantation

Florence Hatzenberger, spécialiste de la botanique et des paysages aux Antilles propose un point de vue novateur sur la forêt comme lieu de souffrance et d’espérance. Un article très intéressant sur une réalité méconnue: elle nous rappelle une évidence facile à oublier quand on connaît aujourd’hui le paysage haïtien avant de planter il a fallu défricher ce qui lui permet de montrer comment la première exploitation, celle de la recherche de l’or a conduit à l’assujettissement des Indiens et après leur quasi-disparition à l’appel à des engagés venus d’Europe qui seront plus tard remplacés par la main d’œuvre servile prise en Afrique. C’est avec le développement des plantations sucrières que la déforestation s’accélère car outre le défrichement la sucrerie exige une grande quantité de bois. L’auteur expose les très difficiles conditions de travail en forêt, elle montre aussi que ce lieu de misère fut aussi un lieu d’espérance, proche des forêts africaines des esclaves, rappelant le bois sacré de leurs cultures d’origines ils y organisèrent des cérémonies traditionnelles et aussi le culte vaudou. La forêt fut aussi pourvoyeuse de nourriture, voire de poison (ce point sera abordé dans une autre contribution) ou de médicaments. Enfin c’est le lieu de prédilection des esclaves en fuite, les marrons.

Philippe Hrodej nous entraîne au temps des pionniers à St Domingue. Longtemps peuplée de flibustiers et autres boucaniers blancs cette île aurait pu être une colonie blanche. Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que l’esclavage s’y développe d’abord avec des achats ou des prises sur les autres îles comme la Jamaïque avant que se mette en place le classique commerce triangulaire. L’auteur montre comment le déclin économique de la viande séchée et du tabac, premières activités de l’île et le développement des plantations de canne à sucre a modifié la composition même de la population, comment en quelque sorte se construit le couple sucre-esclavage.

Laurence Verrand analyse, à partir des chroniques et récits de voyageurs français du XVIIe siècle, les pratiques et débats concernant les premiers esclaves aux Antilles. Elle tente de percevoir les premières réalités du contact entre maîtres et esclaves. Main d’œuvre agricole et signe de richesse pour le colon mais avec le souci constant de l’évangélisation, cette position ambiguë est montrée avec la question: peut-on être esclave bien que chrétien? Pour preuve les enfants mulâtres libres et instruits y constituent un groupe social spécifique.

Bernard Foubert présente une recherche descriptive et pointue: l’origine des esclaves de l’habitation Laborde. Ce marchand, négrier et planteur acquière entre 1769 et 1791 près de 2000 esclaves dont 1/4 sont achetés localement et 3/4 proviennent de la traite en provenance essentiellement de la côte équatoriale entre Côte d’Ivoire et Angola.

Avec Natacha Bonnet c’est l’organisation du travail servile qui est analysée dans une recherche portant sur quatre plantations sucrières dominicaines. C’est l’occasion de découvrir la hiérarchie du travail entre hommes et femmes, entre travail au champ et à la sucrerie, les “nègres à talents”, mais aussi la très forte mortalité dans les arrivants, 40 à 50 % décèdent avant le 8ème anniversaire de leur arrivée sur l’île. La main d’oeuvre domestique à la “grande case” est peu nombreuse, 10% de l’effectif, c’est aussi une étape vers l’affranchissement et la liberté.

Quant à Arlette Gautier, elle nous propose un état historiographique de la question genre et esclavage. On retiendra la double exploitation dont furent victimes les femmes: travail dur et non qualifié et exploitation sexuelle et les formes d’opposition spécifique des femmes dans les luttes pendant les années de la Révolution.

 

Le long chemin de l’abolition: le doute, la crainte, la nécessité

La seconde partie, à propos des abolitions,  s’ouvre avec la correspondance d’un planteur angevin installé à St Domingue qui montre que l’échec n’était pas impossible ici dans la culture du café. Philippe Haudrère montre que si les difficultés commerciales, l’éloignement de la métropole sont augmentées des difficultés personnelles du personnage et de la période révolutionnaire, ce sont peut-être les pertes de sa main d’œuvre servile qui le conduise à la faillite.

En ce début du XIXe siècle la vie de colon ne semble pas sans risque réel ou fantasmé si on en croit Geneviève Léti qui relate la psychose de l’empoisonnement qui gagne les blancs dès que le bétail ou les hommes périssent. Œuvre des esclaves ou des libres de couleurs, forme de résistance ou de détresse il semble que la connaissance de la végétation tropicale ait pu être utilisée. Les archives judiciaires, sources de ce travail, montre une sévère répression en particulier à la Martinique.

La Fayette, de retour de la guerre d’Amérique fut-il l’un des premiers abolitionniste français? Ami de Condorcet, il adhère dès 1788 à la société des Amis des Noirs et tente dans la plantation guyanaise qu’il a acquise en 1785 de mettre en place un salariat pour une émancipation progressive. Etienne Taillemite montre qu’après la période napoléonienne il reprend la lutte contre l’esclavage en particulier par ses actions pour une application de l’interdiction de la traite.

C’est aussi en Guyane que nous entraîne Monique Pouliquen entre première abolition et le rétablissement (1789-1809). Dans cette colonie lointaine et pauvre moins de 1500 colons exploitent plus de 10 000 esclaves noirs qui se révoltent en octobre 1790. La première abolition est proclamée en juin 1794, face aux difficultés économiques, les autorités tentent de réglementer le travail dans les plantations. L’auteur montre une population servile entre aspiration à la liberté et crainte d’un retour de l’esclavage qui ne se révolte pas en 1809 mais parmi laquelle les marrons, les fugitifs furent nombreux et pourchassés.

Léo Elisabeth s’interroge sur la position ambiguë, dans la première moitié du XIXe siècle, des “libres de couleur”. Leur revendication de liberté et d’égalité a d’autant plus de chance d’être entendue qu’elle est portée par des électeurs et des élus noirs, donc en cette période de régime censitaire, par des hommes ayant une certaine aisance économique qui aux Antilles est synonyme de propriété terrienne et donc de maître d’esclaves. Situation oh! combien paradoxale être noir, libre riche et maître pour revendiquer l’égalité des hommes. De fait dès 1830 on constate une situation de transition, la pression sur les esclaves diminue, la lutte contre le marronnage est moins sévère, des droits sont reconnus aux esclaves. L’auteur montre des réalités un peu différentes selon les zones et les étapes jusqu’à l’abolition de 1848.

C’est à Cuba qu’on va suivre, avec Anne Marie Brenot, le chasseur d’esclave Francisco Estévez. A partir des carnets du rancheador, elle dresse un tableau de Cuba, sa dépendance à la main d’œuvre servile, la peur d’une révolte. Après, la description du manuscrit, du contexte de son écriture, des conditions de sa conservation, l’auteur tente de dresser un bilan de cette chasse aux esclaves marrons. Dans des conditions physiques (relief et climat) difficiles, avec des aides (guide, chiens…) à payer et malgré quelques fois la mauvaise volonté des propriétaires qui refuse le passage sur leurs terres, Estevez capture environ 520 esclaves qui ne lui rapporteront que 4 pesos chacun quand un chien lui en coûte 36.

Eric Saugera présente quelques officiers napoléoniens, planteurs esclavagistes en Alabama et en Louisiane. Arrivés pour fuir les condamnations au lendemain des 100 jours ils cherchent à fonder une colonie de peuplement basée sur l’agriculture. Il nous relate les conditions de leur installation et le recours sans beaucoup d’état d’âme à la main d’œuvre servile, suivant l’exemple des réfugiés français de St Domingue qui les accompagne dans cette aventure. L’auteur rappelle aussi que le contexte de l’époque aux États-Unis n’est pas encore à l’abolition.

Ce livre n’est certes pas une synthèse sur la question mais les points de vue à la fois divers et précis qui s’y expriment ne manquent pas d’intérêt bien au contraire.

Christiane Peyronnard © Clionautes