Cet ouvrage est le fruit d’une rencontre organisée à Moissac (Tarn-et-Garonne) en mai 2016 par l’association « Moissac, ville de Justes oubliée » et le Réseau Mémorha, avec le soutien du LAHRA (Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes, CNRS).

Structure inédite en France, Mémorha est une association qui fédère à l’échelle de la région Rhône-Alpes des institutions — musées, centres d’histoire, centres d’archives publiques et privées — des associations, des chercheurs en histoire, ethnologie, sociologie… Elle a pour objectifs « d’apporter une réflexion sur le redéploiement des mémoires de la Seconde Guerre mondiale à l’échelle de la région Rhône-Alpes à travers une approche comparée de leur traitement en France et en Europe » et de « faciliter la mise en place de projets culturels et scientifiques entre les partenaires du réseau ». Mémorha a co-organisé en 2016 une rencontre centrée sur l’accueil, le sauvetage et la résistance des Juifs. Trois lieux emblématiques, Le Chambon-sur-Lignon, Dieulefit et Moissac ont été retenus : « Représentatifs de situations qui se rencontrent en grand nombre ailleurs, ils offrent l’opportunité de se risquer dans la micro-histoire : chacun de ces sites ayant une situation à la fois originale et explicable, simultanément par le recours à des analyses plus générales ».

Le sauvetage des Juifs donne lieu à trois approches complémentaires. La première s’efforce de mettre en valeur les solidarités qui, à l’intérieur de la « résistance civile » se sont combinées avec les actions de la résistance armée. La seconde approche tend à restituer l’importance des réseaux et des organisations dans le sauvetage, tout en reconnaissant et en montrant le rôle de quelques femmes et hommes d’exception. La troisième approche souligne la part juive du sauvetage des Juifs et celle de la Résistance. Les auteurs et organisateurs ont eu le souci  de relier les études régionales aux travaux historiques de synthèse, ainsi que de favoriser les approches pluridisciplinaires, sans négliger la parole ou l’écrit des témoins.

Un beau livre

On pourrait s’étonner qu’un ouvrage qui s’apparente à un compte-rendu de colloque donne lieu d’abord à une observation sur son aspect matériel. Une impression s’impose néanmoins au premier abord qui mérite d’être soulignée : nous tenons en main un livre que l’on a plaisir à feuilleter, à regarder, à parcourir, à lire bien sûr. Il faut en souligner la qualité graphique et typographique, celle de la composition et de la mise en page. On y découvre de nombreuses photographies souvent de grand format et quelques cartes. Les articles sont pour la plupart assez courts, clairs et accessibles. Il ne manque rien de ce qui est attendu du lecteur exigeant : notes de bas de page, index des lieux et personnes, glossaire, bibliographie, filmographie.

L’ouvrage comprend quatre chapitres (après l’introduction générale de Laurent Douzou) : les trois premiers sont consacrés aux trois hauts-lieux du sauvetage ; chacun comprend une brève introduction signée d’un historien universitaire (Patrick Cabanel, Jacques Sémelin, Tall Bruttmann) puis une ou plusieurs communications (une douzaine au total) dues à des historiens spécialistes de ces lieux de sauvetage, et enfin un compte-rendu de tables rondes auxquelles participent quelques témoins, qui furent des enfants sauvés. Le cinquième chapitre intitulé « Acteurs, Témoins, Témoignages » aborde différents aspects communs aux trois situations géographiques : les passages clandestins vers la Suisse, la politique allemande (Serge Klarsfeld), les conséquences psychologiques des situations de sauvetage (Boris Cyrulnik). Il propose enfin un ensemble de 28 biographies caractérisant le « moment Moissac ». Ajoutons pour terminer de caractériser cet ouvrage dans sa globalité qu’il est réconfortant, dans l’absolu, et davantage encore dans les circonstances actuelles de résurgence de l’extrême-droite. Loin de focaliser sur les Justes qui ne sont qu’un petit nombre, nous découvrons l’importance des solidarités, de l’accueil, de l’aide sans conditions, de l’humanité profonde du plus grand nombre, ce que l’un des intervenants appelle « la banalité du bien ».

Protestantisme et sauvetage au Chambon-sur-Lignon

« Le Chambon-sur-Lignon et les communes voisines composent, dans le prolongement du protestantisme ardéchois, une enclave au cœur du puissant univers catholique de la Haute-Loire ». On trouve là 9 000 protestants, répartis sur 500 km². Ils ont contribué à sauver 3 500 juifs et 79 médailles de Justes ont été distribuées dans cette enclave d’altitude. Ce phénomène tient à une conjonction de facteurs. La situation géographique et économique est favorable à l’accueil des réfugiés. À 1 000 m d’altitude, le plateau compte quelques gros bourgs mais surtout un semi ininterrompu de hameaux et de domaines isolés, reliés par un dense lacis de chemins ruraux ; la ville est devenue une station climatique de villégiature et d’accueil des enfants pour qu’ils bénéficient de l’air pur : « Lorsque l’heure est venue d’héberger des enfants juifs, les équipements immobilier, pédagogique, social, culturel, étaient en place depuis deux générations au moins.» Enfin, Le Chambon et une terre protestante (90 % à 95 % de la population) : « Le protestantisme est nourri, pour ne pas dire saturé, de la Bible, toute la Bible : l’Ancien Testament aussi bien que le Nouveau (…) Israël retentit dans chaque temple, chaque dimanche ». Les Juifs sont les hommes de l’Ancien Testament dans la familiarité duquel vivent les protestants, et davantage encore les membres des petites Églises issues du Réveil : baptistes, adventistes, darbystes, salutistes, quackers, qui tous s’investissent dans le sauvetage des Juifs. Il faut aussi prendre en considération le fait que les protestants ont été persécutés et qu’ils ont conscience qu’il peut être juste de désobéir à un État injuste et antichrétien.

Les pasteurs s’élèvent par leurs prêches contre le pétainisme et le nazisme, André Trocmé le premier. Des actes de désobéissance civile se multiplient, se référant à la Bible. A partir de l’été 1942, les pasteurs appellent la population à secourir et cacher les Juifs. Ce que font d’innombrables paysans dans les hameaux environnants. On se dévoue pour cacher les enfants et les faire passer en Suisse. Des Juifs organisent une résistance civile pour sauver d’autres Juifs, en particulier Madeleine Dreyfus et André Chouraqui, avec l’OSE (Œuvre de secours aux enfants), qui parviennent à cacher sur le plateau plus de 300 jeunes enfants. Des maquis se constituent à partir de la fin 1943 qui intègrent des autochtones, des réfractaires au STO de la Loire, de jeunes protestants de Haute Normandie et des Cévennes, des réfugiés. Joseph Bass crèe un maquis réunissant des Juifs et des maquisards locaux sous la direction d’un Républicain espagnol

Le pays de Dieulefit, miroir du sauvetage français

Dieulefit, petite ville de la Drôme provençale, fut avec son canton un haut lieu du refuge. Cette petite cité et son canton ont accueilli, hébergé, protégé et sauvé un grand nombre de personnes, adultes et enfants. Les 2 500 résidents ont accueilli au moins 1 700 réfugiés : une proportion énorme en temps de restriction alimentaire. Pas une seule arrestation, pas une seule déportation, pas une seule exécution ne sont à déplorer. « Ce sauvetage remarquable d’efficacité et d’humanité a été rendu possible grâce à une chaîne de solidarité sans maillon faible (…) Comme l’ont noté plusieurs témoins, à l’intérieur du Pays, jamais personne n’a eu peur, et, sauf très rares exceptions, la population connaissait les noms et identités véritables des réfugiés ». Le résultat le plus remarquable de cette résistance civile et non armée serait d’avoir fait échec à la peur. Pour caractériser cette résistance civile, Jacques Sémelin a proposé de considérer le cas de Dieulefit comme un miroir du sauvetage français, en suggérant que l’histoire de cette résistance, si elle n’est pas unique ou exceptionnelle, peut être considérée comme un reflet de situations comparables et repérées en France occupée.

Au XIXe siècle, c’était l’une des villes les plus industrialisées de la Drôme : draperie, poterie et sériciculture en étaient les fondements ; avec une dizaine de foires par an, la ville était aussi un important centre commercial. A la veille de la guerre, la ville est animée par deux grandes activités : l’industrie textile et le climatisme. Le réseau médical et climatique repose sur deux cabinets de médecins, en ville, et sur un grand nombre de petits centres et de pensions, maisons de repos et de convalescence. L’essor du climatisme a entraîné celui du tourisme et l’implantation d’établissements scolaires adaptés. Sur le plan démographique, catholiques et  protestants font jeu égal et les mariages « mixtes » sont nombreux ; dans les domaines culturel et économique, les protestants exercent un réel ascendant. Sur le plan politique, ce pays rural se situe nettement à gauche. Le maire est catholique et socialiste, partisan du Front populaire ; le parti communiste s’est implanté dans le milieu rural et paysan.

L’école de Beauvallon fut le centre de la résistance à la persécution. L’école primaire mixte de Dieulefit, fondée en 1929 par Marguerite Soubeyran et Catherie Krafft, accueille des enfants de trois à quinze ans. L’éducation est fondée sur l’autogestion scolaire et une grande liberté. Marguerite Soubeyran est issue d’une vieille famille protestante de Dieulefit et a effectué ses études à Genève ; elle est par ailleurs communiste. Catherine Krafft est genevoise, fille de pasteur. Elles ont toutes deux suivi les cours de l’Institut des sciences de l’éducation Jean-Jacques Rousseau à Genève.  Pendant la guerre, l’école est un refuge : elle double sa capacité d’accueil en hébergeant des enfants pourchassés. Marguerite Soubeyran organise en 1941 une officine de faux papiers. Elle contacte Jeanne Barnier, secrétaire générale de la mairie de Dieulefit, âgée de 21 ans et issue d’une famille protestante, qui accepte de fabriquer de faux cachets et de fausses cartes de rationnement et d’identité. Le maire nommé par Vichy ferme les yeux et le premier adjoint lui fournit son aide. L’école secondaire de La Roseraie fondée par Pol Arcens est l’illustration de la résistance catholique à la persécution. D’abord tenté par la Révolution nationale, Pol Arcens prend vite conscience de l’antisémitisme virulent du régime et accueille dès novembre 1940 des Juifs révoqués de l’enseignement : « Dieulefit symbolise cette pluralité française ».

En février 1943, Marguerite Soubeyran regroupe des réfractaires au Service du Travail Obligatoire derrière l’école. Jeanne Barnier leur procure de faux papiers et les dirige vers les maquis qui se constituent dans les environs. Quelques mois après deux organisations de résistance s’implantent localement, l’une qui dépend des autorités françaises d’Alger et l’autre du réseau britannique Buckmaster. Un premier parachutage a lieu en novembre 1943, et un second en mars 1944. Les FTP (Francs-tireurs et Partisans, d’obédience communiste) se structurent également. Des sabotages ferroviaires ont lieu.

Moissac : solidarités et résistances juives

Si Le Chambon-sur-Lignon et Dieulefit incarnent l’entraide apportée par des populations locales aux Juifs persécutés et traqués, Moissac comporte une dimension supplémentaire, celle de la résistance juive, dans la mesure où plusieurs organisations juives y sont installées avec des actions diverses. Moissac est une petite ville du Tarn-et-Garonne très liée à son arrière-pays agricole. C’est presque un « pays de cocagne » où la production de raisin chasselas assure une réelle prospérité et la population étrangère y est bienvenue car elle fournit l’indispensable main d’œuvre agricole. Moissac est devenu la première station uvale de France, pensée sur le modèle des stations thermales, afin de permettre aux curistes de bénéficier des bienfaits alors reconnus du jus de raisin chasselas. On y a construit un uvarium (rotonde pour la dégustation du jus de raisin) et un grand hôtel.

L’originalité de la situation de Moissac réside dans la création en 1939 d’une maison d’enfants par un mouvement de jeunesse scout juif, les Eclaireurs israélites de France (EIF). Il s’agit d’un des premiers mouvements de jeunesse scouts spécifiquement juif, fondé en 1923, implanté en Alsace à partir de 1928, dissous par une loi du régime de Vichy en novembre 1941, ensuite toléré puis définitivement interdit le 5 janvier 1943. Quand la guerre éclate, le mouvement s’organise pour évacuer les enfants des villes. Des cadres du mouvement, dont Shatta Simon sont chargé d’organiser des « Maisons d’enfants » dans des zones refuges. Pas d’internat, pas d’orphelinat, mais des maisons familiales où les enfants, loin de leurs familles, s’épanouiront ensemble le temps que le conflit s’apaise. Shatta et Bouli Simon fondent et dirigent la Maison d’enfants de Moissac. « A l’origine centre d’évacuation temporaire, elle devient un point de ralliement communautaire, une adresse que l’on s’échange de bouche à oreille et un refuge où chaque jeune Juif, scout ou pas, peut venir demander une aide ».  Les communications et tables-rondes décrivent et évoquent la vie quotidienne, l’enseignement, la formation professionnelle, la spiritualité associés à la Maison de Moissac. Elle fut ensuite le théâtre de la transformation du mouvement de jeunesse scout en un vaste réseau de résistance et de sauvetage d’enfants juifs.

Le refuge exceptionnel des jeunes juifs, Éclaireurs israélites de France, est intégré à la population locale de Moissac et des communes environnantes, malgré quelques dénonciations sans conséquences en 1941. Le milieu scout chrétien est impressionné par cette spiritualité juive qui reçoit les soutiens officiels pétainistes du maire, des gendarmes, des policiers du commissariat de Moissac (sauf un), des Renseignements généraux et même du préfet. En novembre 1942, les premières rafles frappent la maison d’enfants. Il faut cacher les enfants et les disséminer dans tout le pays. En janvier 1943, les cadres du mouvement entrent dans la clandestinité au sein d’un vaste réseau de résistance qui prendra le nom de « Sixième ». Fin 1943, début 1944, l’atmosphère devient éprouvante. Une résistance armée voit le jour et des maquis se constituent.

Moissac devient un centre d’évacuation des enfants juifs, la « plaque tournante du sauvetage ». Des convois sont organisés pour passer les enfants en Suisse. Aux côtés des EIF, agissent d’autres organisations juives : l’Armée juive, le MJS (Mouvement de la jeunesse sioniste) l’Œuvre de secours aux enfants (OSE), organisation médico-sociale aux ramifications internationales qui fonde des maisons d’enfants dans tout le sud de la France, l’ORT (Organisation Reconstruction Travail). Le visage de la jeune fille que l’on voit sur la couverture du livre est celui de Marianne Cohn, âgée de 23 ans. Partie de Limoges avec 32 enfants et adolescents le 30 mai 1944, elle fut capturée près d’Annemasse. Marianne fut assassinée dans la nuit du 7 au 8 juillet. « Plus de 500 enfants juifs sont passés par la Maison de Moissac entre 1939 et 1945. Certains ne resteront que quelques jours. D’autres résideront plusieurs années. Des filles et des garçons de deux à 18 ans, scouts ou pas, en majorité français, allemands ou polonais (…) Un seul enfant, repris par ses parents, a été déporté avec eux. Tous les autres ont été sauvés par des jeunes scouts dont la plupart n’avaient pas 20 ans ».

Une fois les enfants évacués et les maisons fermées, les jeunes des EIF, du MJS (Mouvement de la jeunesse sioniste) et de l’ORT, souvent regroupés au sein de l’Armée juive, s’engagent dans la lutte armée. Des jeunes de l’ORT rejoignent le maquis de l’Armée secrète en Dordogne. Les jeunes femmes servent d’agents de liaison pour le recrutement de maquisards. Des maquis juifs se constituent, qui vont participer à la libération du territoire.

Des espaces de survie qui furent des terres d’accueil, des terres de réseaux, des terres de résistance

C’est autour de ces expressions structurantes que Cindy Biesse, auteure d’une thèse de doctorat, Les Justes parmi les Nations : étude prosopographique, a construit la conclusion synthétique de l’ensemble des échanges. Elle évoque d’abord les fortes différences entre ces trois espaces : « Sur le plan géographique, les riches plaines agricoles du Tarn jurent avec la rudesse des montagnes de Haute-Loire ou avec la Drôme provençale remarquable par sa pluriactivité. Le protestantisme, si fort au Chambon n’est nullement présent à Moissac et paraît moins central dans le pays de Dieulefit (…) Les formes de sauvetage diffèrent elles aussi : les Juifs réfugiés à Moissac jouent un rôle moteur dans leur propre survie (ils en sont d’ailleurs à l’initiative), tandis que dans les deux autres pays, ils sont activement secondés par des non-juifs ». Mais des caractéristiques communes ont été révélées par les échanges : « Ces terres ayant une tradition d’accueil sont prêtes matériellement et culturellement à recevoir des étrangers. Animées par des personnalités remarquables, elles sont le lieu de déploiement de réseaux qui passent de la résistance civile à une résistance armée plus organisée ».

Des terres d’accueil. Ces trois pôles sont en zone Sud. Jusqu’en novembre 1942, il n’y a pas d’Allemands. Ensuite ils sont là, mais Serge Klarsfeld a fait remarquer que la traque des Juifs n’est pas une priorité des autorités allemands locales, plutôt concentrées sur la répression de la Résistance et que la Gestapo était alors ralentie dans l’application de sa politique d’extermination par des luttes internes. Ce sont des régions de production agricole et des régions d’activité touristique : hôtels et pensions de famille offrent des capacités d’accueil. Près de 10 000 protestants vivent sur les terres de la France méridionale (la Bible Belt). Le protestantisme local est dynamique avec ses associations, ses mouvements de jeunesse, son christianisme social. Ces trois territoires furent très tôt fortement républicains : Moissac est un fief radical, les protestants de Vivarais Lignon votent à gauche, la municipalité catholique de Dieulefit est issue du Front populaire. La fonction d’accueil y fut précoce, dès l’entre-deux-guerres. Des réfugiés affluèrent dès 1939 et les flux se poursuivirent tout au long de la guerre. « Jusqu’aux rafles d’août 1942, une certaine judéophobie (consubstantielle à une méfiance à l’égard des touristes) prévaut chez une partie de la population. Puis la bienveillance s’impose. Le rôle de quelques personnalités locales influentes  est ici essentiel ».

Des terres de réseaux. « Chacun de ces lieux de sauvetage est marqué par une ou plusieurs personnalités, véritables modèles, mentor pour les populations locales (…) Tous impulsent le sauvetage à l’échelle locale. Ils jouissent de la complicité des autorités ». Ce sont Shatta et Bouli Simon à Moissac, Marguerite Soubeyran à Dieulefit, Magda et André Trocmé au Chambon. A défaut de s’impliquer, la population garde le silence : c’est ce phénomène collectif qui permet la survie des réfugiés. « Le processus d’entraide spontané, isolé, tel que Yad Vashem le définit, n’existe qu’à la marge ». Cindy Biesse distingue des « cercles de sauvetage » : un premier est constitué par la famille, un second par les amis et les relations professionnelles, un dernier par des relations plus lâches. Les affinités religieuses participent à cette activité résistante. Les réseaux de santé et les réseaux scolaires sont très efficaces. La complicité des administrations est essentielle : personnel municipal, gendarmes, policiers. Il faut enfin prendre en compte les réseaux de sauvetage nationaux (juifs notamment) : l’OSE, le MJS, la Sixième, les EIF. Ces organisations effectuent toutes des convoyages et transfèrent les enfants d’une région à l’autre : « Les territoires refuges fonctionnent en réseaux ».

Des terres de résistance. « Dans ces villages la frontière résistance armée/résistance « civile » ou « civique » est bien poreuse et abolit le cloisonnement jusque-là établi. Les mêmes lieux abritent des populations persécutées et des maquisards ». Les mouvements de résistance peuvent cumuler les activités résistantes traditionnelles et une activité de sauvetage. La résistance juive est « protéiforme » : activité de sauvetage, résistance spirituelle, résistance armée. Mais, Cindy Biesse pose la question, « Peut-on parler de Résistance au sens convenu du terme » ? Elle estime nécessaire pour affiner cette notion de « résistance civile » de « redéfinir les temporalités » D’abord le temps de la dissidence, marqué par la croyance en des systèmes de valeurs héritées du passé et opposées au national-socialisme. Puis le temps de la désobéissance, « soit le droit de refuser des lois considérées comme injustes ». La question de l’obéissance se pose au chrétien et au citoyen. Le 3ème temps est celui de la réactivité sociale, celui où des individus sans se concerter s’engagent dans l’aide à d’autres qu’ils ne connaissent pas, mais qu’ils savent menacés. « C’est le terreau à partir duquel se constituent des mouvements de résistance civile organisés ». La résistance « au sens plein du terme » survient dans un 4e temps. Des militants du sauvetage, qui sont chrétiens, laïcs et juifs organisent des réseaux interdépendants de protection des Juifs persécutés et menacés. Cette forme d’engagement peut aller jusqu’à la résistance armée.

On l’aura compris, en plus d’être beau et passionnant, ce livre apporte beaucoup à la connaissance du sauvetage des Juifs dans la France de l’Occupation et enrichit l’historiographie de la résistance civile.

Sur la question du sauvetage et de la résistance civile, vous pouvez consulter sur la Cliothèque :

https://clio-cr.clionautes.org/face-au-totalitarisme-la-resistance-civile.html

https://clio-cr.clionautes.org/persecutions-et-entraides-dans-la-france-occupee-comment-75-des-juifs-en-france-ont-echappe-a-la-mort.html

https://clio-cr.clionautes.org/resistance-et-liberte-dieulefit-1940-1944.html

https://clio-cr.clionautes.org/histoire-des-justes-en-france.html

© Joël Drogland