« ‘’La liberté est le bien le plus précieux au monde, et c’est pour la défendre que bien souvent, nous nous retrouvons injustement derrière les barreaux. Je lance solennellement un cri aux travailleurs du monde, aux opprimés et aux esclaves du capitalisme… Tous unis dans la lutte, nous vaincrons ! Vive la liberté et vive l’anarchie !’’ Buenaventura Durruti »

Bruno Loth & Corentin Loth, Viva L’anarchie ! La rencontre de Makhno et Durruti (Tome 1), La Boîte à Bulles, Février 2020, p. 11.

 

Le 15 juillet 1927 eut lieu, à Vincennes, une rencontre mémorable entre deux anarchistes, Nestor Makhno et Buenaventura Durruti. L’un est ukrainien, l’autre espagnol. L’un avait mené, en 1917, la révolution libertaire d’Ukraine, l’autre luttera toute sa vie contre les injustices des gouvernants et des patrons.

Les deux hommes, entourés de leurs proches, s’engagent dans une discussion fraternelle autour de leur parcours personnel et des valeurs libertaires qu’ils ont ardemment défendues.

Ils évoquent les voies possibles pour construire un monde meilleur où il n’y aurait plus ni exploitant, ni exploité, ni hiérarchie, et où l’État et la propriété seraient abolis… Un rêve de fraternité, d’égalité et de liberté.

[Viva L’anarchie ! La rencontre de Makhno et Durruti, 4e de couverture]

    La mise en récit fictive, mais parfaitement documentée, de cette rencontre historique entre Makhno et Durruti est le pari réussi et génial que se sont lancés Bruno Loth1, auteur bordelais passionné d’Histoire, au scénario et aux dessins, et son fils Corentin Loth pour la mise en couleurs. Le lecteur va ainsi pouvoir plonger dans le passé de ces deux hommes, explorer leur cheminement intellectuel et leurs luttes par des flashbacks aux couleurs sépia. Entrecoupées de citations d’autres penseurs libertaires tels que Bakounine ou Kropotkine, la narration est envoûtante, les planches soignées et le récit très pédagogique, ce qui rend cette BD accessible à tout public, notamment scolaire.

Prologue. Enfin libre !

« Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres humains qui m’entourent, hommes et femmes, sont également libres. La liberté d’autrui, loin d’être une limite ou la négation de ma liberté, en est au contraire la condition nécessaire et la confirmation. Ma liberté personnelle, ainsi confirmée par la liberté de tout le monde, s’étend à l’infini. » Mikhaïl Bakounine (1814-1876).

     Le 25 juin 1926, les autorités françaises arrêtent trois anarchistes espagnols accusés de fomenter un attentat contre le roi d’Espagne, Alphonse XIII, dont une visite officielle est prévue à Paris. Il s’agit de Buenaventura Durruti, Francisco Ascaso et Gregorio Jover. À la nouvelle de leur arrestation, l’Espagne et l’Argentine, où ils sont condamnés à mort, demandent leur extradition. Jugés à Paris le 17 octobre 1926, ils sont condamnés à une peine de prison pour port d’arme prohibé.

    L’ouvrage s’ouvre sur les festivités du 14 juillet 1927 à Paris. Depuis les fenêtres de son appartement Louis Lecoin (surnommé P’tit Louis par ses compagnons), militant pacifiste et anarchiste, est aux anges. Mais, ce n’est ni le défilé militaire ni la liesse de ses compatriotes en ce jour de fête nationale qui le rendent si heureux. Non, celui-ci se prépare pour se rendre à la librairie Le libertaire afin d’assister à un meeting animé par Sébastien Faure pour accueillir et fêter la libération des trois « mousquetaires » : Durutti, Ascaro et Jover qui ont failli être extradés vers l’Argentine où ils étaient condamnés à mort et viennent tout juste d’être libérés des geôles françaises. Nestor Makno les rejoint enthousiaste sur la scène.

Première partie. Refaire le monde

« En nous déclarant anarchistes, nous proclamons d’avance que nous renonçons à traiter les autres comme nous ne voudrions pas être traités par eux ; que nous ne tolérons plus l’inégalité qui permettrait à quelques-uns d’entre nous d’exercer leur force, ou leur ruse ou leur habileté, d’une façon qui nous déplairait à nous-même. Mais l’égalité en tout, synonyme d’équité, c’est l’anarchie même. » Piotr A. Kropotkine (1842-1921).

    Le lendemain les protagonistes se retrouvent dans l’appartement de Nestor et Galina Makhno et leur fille Yéléna, à Vincennes, autour d’une bouteille de Bordeaux et de petits gâteaux. Débute ainsi la « rencontre» entre Mahkno et Durruti, entourés de leurs compagnons, leurs amis, leurs camarades : Francisco Ascaso, Gregorio Jover, Louis Lecoin, Berthe Fabert, Emilienne Morin (la future compagne de Durruti) et Yacov. Autour de ces deux leaders libertaires d’horizons différents s’engagent un débat d’idées, des discussions autour d’un idéal commun : celui de l’anarchisme. Les participant.e.s, comme le lecteur, revivent ainsi la jeunesse de Makhno dans le cercle anarchiste de Gouliaï-Polié, le bagne à Moscou et la révolution ukrainienne ; puis celle de Durruti et les braquages de banque en Espagne, conçus comme des opérations d’expropriation du Capital. Autour du parcours personnel des deux hommes et des idéaux libertaires qui les rapprochent, les principales thématiques de la pensée anarchiste sont évoquées : antimilitarisme et antipatriotisme, pacifisme ou « légitime violence » et lutte armée, prison, éducation, homme de terrain vs théoriciens, communisme libertaire, expropriation et redistribution des richesses, collectivisme… Une amitié entre les deux hommes se dessine au fil des discussions autour d’un but commun, d’une utopie possible : rendre le monde plus juste, plus libre, plus égalitaire et plus fraternel ! 

    En cette période de post-confinement, la question du « monde d’après » est sur toutes les lèvres. Comment envisager celui-ci sans se confronter à notre Histoire ? Cet excellent album (quelques planches sont consultables ici) nous permet de (re)découvrir une tranche de l’histoire ouvrière et révolutionnaire européenne et deux acteurs majeurs de l’anarchisme du début du XXe siècle. Dans un contexte actuel de vives luttes sociales, connaître le passé pour anticiper l’avenir ? Le second tome évoquera la Makhnovtchina et les débuts de la Guerre civile espagnole. Il devrait voir le jour au printemps 2021 et nous l’attendons avec impatience !

©Rémi BURLOT pour Les Clionautes

Présentation de l’éditeur

« Dans ce nouvel album, Bruno Loth retrace les principaux événements qui ont marqué la vie des deux anarchistes Buenaventura Durruti et Nestor Makhno qui ont en commun d’avoir réussi à mettre en pratique l’anarchie sur tout un territoire (Catalogne – Ukraine).

En 1927, après une tentative de coup d’État contre le roi d’Espagne Alphonse XIII, Durutti est emprisonné en France. Finalement libéré, il échappera à l’extradition vers l’Argentine, mais aura 10 jours pour quitter la France. C’est à Paris, dans la clandestinité, que Durrutti rencontre Nestor Makhno, figure de l’anarchisme ukrainien, communiste libertaire et fondateur de l’armée révolutionnaire insurrectionnelle Makhnovchtchina.

Cette rencontre sera pour eux l’occasion de confronter leurs expériences et leurs idéaux. »


1Bruno Loth, né en 1960, est un auteur de bande dessinée français. Avant de devenir scénariste et dessinateur, Bruno Loth a travaillé dans la publicité. Il s’est lancé dans la bande dessinée avec la série Ermo qu’il a lui-même publiée, faute d’éditeurs intéressés par son projet en fondant sa propre maison d’édition : Libre d’images.

Ses bandes dessinées comme Ermo, Apprenti ou Ouvrier racontent à travers des personnages souvent fictifs l’histoire d’un des membres de sa famille lors d’événements qui ont marqué l’Histoire comme la Guerre d’Espagne ou encore la Seconde Guerre mondiale.

En 2017, il publie aux éditions La Boîte à Bulles Les Fantômes de Ermo (tome 1) ouvrage de fiction ayant pour cadre la révolution sociale espagnole de 1936. Un compte-rendu de celui-ci a été réalisé par Frédéric Stevenot pour la Cliothèque et est consultable ici. En 2019, père et fils ont également réalisé un album intitulé Guernica dont la recension a été faite par Marie-Aline Tresson.