Deux guerres qui encadrent le XVIIIe siècle différentes même si elles présentent quelques analogies et en particulier leur place dans la mémoire collective, c’est leur histoire que veut retracer ce petit ouvrage. Pour se faire deux spécialistes sont ici réunis :
Philippe Joutard1, spécialiste du protestantisme, pionnier de l’histoire orale en France, il est professeur émérite à l’Université de Provence. Il a soutenu sa thèse en 1974 consacrée à la Guerre des Camisards (1702-1704), publiée sous le titre La légende des camisards : une sensibilité au passé (Gallimard, 1977). Recteur des Académies de Besançon puis de Toulouse (1989-1997) il a joué un rôle pionnier dans la réflexion sur l’enseignement des religions en France.
Jean-Clément Martin2 est professeur émérite de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ancien directeur de l’institut d’Histoire de la Révolution française. Ses recherches ont porté notamment sur la Terreur et la Vendée comme lieu de mémoire.
Chacun traite de sa partie puis une dizaine de pages sont consacrées à une comparaison des deux guerres et des deux mémoires constitutives de la nation française.
Les Camisards, avant tout une mémoire
Philippe Joutard rappelle que le soulèvement de ces humbles paysans, artisans contre le grand roi Louis XIV a été bref, limité dans l’espace. Il redit les grandes étapes de la répression avant et après la révocation de l’édit de Nantes (1685), l’apparition des « prophètes » et l’instauration d’un culte au « Désert » enfin l’explosion de colère de 1702. Il aborde les quatre phases de la « guerre des Camisards » 1702-1710. Des encarts font le portrait des principaux protagonistes.
Vient ensuite, et c’est plus intéressant la réflexion sur la construction de la mémoire : dès le XVIIIe siècle le rôle des écrits hostiles mais aussi des témoignages écrits des acteurs comme « Le théâtre des Cévennes »3. L’histoire écrite est d’abord à charge (Voltaire, Le siècle de Louis XIV, 1751) mais la tonalité change au milieu du XIXe siècle (Napoléon Peyrat, Histoire des pasteurs du Désert, 1840). L’histoire orale que Philippe Joutard a étudiée dès la rédaction de sa thèse est très importante dans la construction de la mémoire des Camisards au-delà de la seule guerre, plus précises sont les mémoires familiales dont il analyse les forces et les faiblesses (prophétisme, violences). Il rappelle les expressions récentes dans des Cévennes protestantes dreyfusardes puis résistantes, sans oublier au XXe siècle des romans, des films (André Chamson, Jean-Pierre Chabrol, René Allio). Il montre la vitalité de cette mémoire au-delà de la France.
La guerre de Vendée, une invention révolutionnaire
Jean-Clément Martin retrace à son tour les grands événements de cette guerre populaire mais dirigée par la noblesse dans l’Ouest français qui refuse la constitution civile du clergé dans le contexte de l’opposition Montagnards/Girondins et de la menace extérieure même si l’aide anglaise fut plus attendue que réelle. Mais comme dans les Cévennes c’est une guerre violente (colonnes infernales de Turreau). L’auteur évoque les significations controversées avancées pour ce mouvement : guerre civile, contre-révolution, révolte classique, guerre de religion, création révolutionnaire. Là encore on trouve quelques portraits de Charette à Hoche.
La mémoire de la chouannerie est présentée à partir de quelques auteurs y compris récents (Patrick Buisson, La grande histoire des guerres de Vendée, Perrin, 2017). C’est un sujet mémoriel resté polémique sous la Troisième République contrairement aux protestants cévenoles fervents républicains. L’auteur fait aussi une place aux représentations iconographiques.
Dans chaque partie, un encart présente chacun des auteurs et sa place dans l’historiographie du sujet. Philippe Joutard est présenté4 par Patrick Cabanel et Jean-Clément Martin par Guillaume Mazeau5.
Deux guerres une mémoire vivante
Une courte comparaison aborde les aspects numériques (forces engagées, bilan humain, durée de l’insurrection). Malgré les différences une même opposition d’un groupe à la raison d’État rapproche les deux guerres de même que les techniques de guérilla mais deux commandements différents.
Deux mémoires, deux écritures de l’histoire divisent les camps, de longues polémiques pour la Vendée. Dans les deux cas les même reliques, monuments, lieux identitaires mais deux mémoires divergentes face à la République.
Enfin deux mémoires encore bien vivantes aujourd’hui.
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1Il a publié de nombreux ouvrages dont Histoire et mémoires, conflits et alliance (La Découverte, coll. « Écritures de l’histoire », 2013) ou La Révocation de l’édit de Nantes ou les faiblesses d’un État (Gallimard, coll. «Folio histoire», 2018) chroniqués sur notre site.
2Il a publié de nombreux ouvrages dont La Terreur, part maudite de la Révolution (Gallimard, 2010), La Guerre de Vendée (1793-1800) (Points Histoire, 2014), Robespierre (Perrin, 2018) ou Les Echos de la Terreur. Vérités d’un mensonge d’Etat, 1794-2018 (Belin, 2018)
3Publié à Londres en 1707 alors que la révolte n’est pas terminée.
4Page 58
5Page 122