Sacrées guerres est le dernier tome de la série Histoire dessinée de la France, consacré aux guerres de Religion « de Catherine de Médicis à Henri IV ».

Pour cet album, La Revue Dessinée et les éditions La Découverte ont confié le projet à Jérémie Foa, ancien élève de l’ENS et maître de conférence à l’Université d’Aix-Marseille, spécialiste de la France du XVIe siècle, et Pochep, auteur et dessinateur de bande dessinée travaillant régulièrement pour les revues Fluide Glacial et Topo. L’ouvrage ne déroge pas à l’habituelle présentation du contenu en deux parties, comme les volumes précédents. La première partie présente le sujet par le biais de la bande dessinée alors que la deuxième apporte un approfondissement de certains thèmes sous la forme de textes illustrés. À la fin de l’ouvrage, une chronologie permet de se repérer dans la période présentée et des conseils de lecture sont proposés pour approfondir le sujet.

La BD

La première scène de la bande dessinée se situe en 1993, sur le lieu du tournage de La Reine Margot de Patrick Chéreau. Bien que la vieille ville de Bordeaux ait été choisie pour rappeler les rues de Paris, le réalisateur explique d’emblée qu’il ne cherche pas à faire de son film une reconstitution fidèle du massacre de la Saint-Barthélémy (24 août 1572). Il souhaite avant tout montrer la brutalité de l’évènement en exhibant les corps ensanglantés dans les rues de la ville. Dans son film, Chéreau présente Catherine de Médicis comme la responsable de cette tuerie, tel qu’Alexandre Dumas avait pu la présenter dans son roman. Toutefois, à la fin de la journée de tournage, des spectres, victimes de la Saint-Barthélémy, s’indignent de la manière très classique dont est racontée cette histoire par le réalisateur. Ils lui reprochent de faire la part belle aux « grands » personnages historiques tout en laissant invisible le peuple protestant. Un des figurants, quant à lui bien vivant, est témoin de cette scène irréaliste et propose aux fantômes de mener l’enquête avec eux à l’aide d’une caméra pour tenter d’avoir une nouvelle lecture.

La bande dessinée prend alors un tournant très intéressant, car les auteurs nous font passer de la mémoire de la Saint-Barthélémy à la fabrique de l’histoire des guerres de Religion, c’est-à-dire partir à la source de l’information. S’agissant d’une fiction, les auteurs prennent la liberté d’insérer du registre fantastique dans le récit en faisant témoigner des spectres. Par conséquent, notre enquêteur part à la rencontre de victimes du massacre de la Saint-Barthélémy et de leurs bourreaux. Il comprend alors que ces derniers ne sont autres que des membres du voisinage, appartenant pour la plupart à la milice de quartier se prenant alors pour des « guerriers de Dieu ». Les fantômes de Catherine de Médicis et de son chancelier Michel de L’Hospital sont également interviewés sur les guerres de Religion. Cependant, la Reine qui se présente comme étant à l’origine de la tolérance religieuse en accordant la liberté de conscience et la liberté de culte, refuse de parler du massacre. Pour comprendre la complexité des guerres de Religion, les origines et les conséquences de la Saint-Barthélémy, notre enquêteur accompagné d’un des spectres s’embarque dans un tour de France : parfois transporté dans le temps grâce à une potion appelée la « Doloréane » comme en 1563 à Lyon prise par les protestants lors de la première guerre déclenchée par le massacre de Wassy en 1562 ; parfois restant à notre époque, où nos protagonistes poursuivent leurs investigations au château de Montaigne ou aux Archives nationales. Nos héros terminent leur enquête à Paris en se rendant sur des lieux emblématiques du règne d’Henri IV, depuis la place des Vosges jusqu’à la rue de la Ferronnerie où le roi a été assassiné.

Le dossier documentaire

Le dossier documentaire en deuxième partie d’ouvrage permet d’approfondir certains points abordés dans la bande dessinée. J. Foa revient ainsi sur la question de la mémoire, du pouvoir monarchique, des guerres de Religion à l’extérieur des frontières, du rôle des artistes. L’historien développe également une partie sur les paysans qu’il présente comme les grands oubliés de cette histoire alors qu’ils sont certainement ceux qui ont le plus souffert durant cette période suite au passage des troupes, aux réquisitions et à l’inflation des taxes pour financer la guerre. Pour finir, des fiches biographiques présentent certaines figures du catholicisme et du protestantisme français.

Pour conclure, ce dernier tome de l’Histoire dessinée de la France est une lecture des plus agréables. Le trait du dessinateur donne du rythme au récit, et les dialogues apportent une pointe de légèreté à une histoire aux accents fantastiques qui n’en reste pas moins violente, macabre et sombre. Ce volume met également en lumière le travail de l’historien qui, à défaut de pouvoir interviewer directement les acteurs des guerres de Religions, se retrouve dans l’obligation d’aller rechercher leurs témoignages au travers des sources littéraires, comme les écrits de Montaigne, ou des archives tels que les inventaires après décès. En somme, cet ouvrage est une réussite car il permet de prendre la mesure de la complexité des guerres de Religion.


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