La Chine est de plus en plus présente dans le monde. Mais, au-delà du constat d’évidence, huit spécialistes cherchent à identifier et à analyser les facteurs déterminants de la politique étrangère chinoise. La diplomatie chinoise vise aujourd’hui à protéger la place acquise et s’oriente vers une politique étrangère plus entreprenante.

L’ouvrage est coordonné par Alice Ekman qui est responsable des activités Chine au Centre Asie de l’Institut français de relations internationales. Dans une longue introduction elle propose une mise en perspective des différents articles en dégageant cinq évolutions récentes qui soulignent cette ambition de leadership. Elle pointe ensuite huit évolutions récentes à examiner lorsqu’il s’agit d’évaluer la capacité de la Chine de parvenir à ses ambitions. Enfin, elle souligne trois éléments à considérer pour analyser les évolutions de l’approche chinoise du monde. Cette grille d’analyse multiple introduit de façon très claire les contributions à suivre. Chacune d’elle comporte une introduction où sont explicités les axes de développement de l’argumentation. Pour aller plus loin, chaque auteur propose à la fin des références bibliographiques.

 

Les facteurs domestiques

Françoise Nicolas évoque le développement économique du pays, rappelant les grandes phases. Elle en identifie trois depuis 1978. L’économie intérieure demeure la principale préoccupation de la politique étrangère de la Chine. Elle remarque qu’il est toujours tentant de « surestimer l’importance du rôle de l’Etat ». « Aujourd’hui la puissance économique chinoise apparait clairement au service d’une vaste entreprise d’affirmation diplomatique ». John Seaman enchaine donc en se focalisant sur l’approvisionnement en énergies et matières premières du pays. La Chine est le 5ème producteur de pétrole brut au monde, mais il est aussi le premier importateur pour un total qui représente 64 % de sa consommation nationale. Cet article s’intéresse aux différentes étapes de l’évolution des besoins énergétiques et miniers du pays et ses conséquences. Aujourd’hui le pays se tourne de plus en plus vers les nouvelles technologies et le développement durable. A la page 77, on peut signaler un intéressant tableau qui porte sur « Les importations chinoises par région en 2014 et les importations en pétrole brut par pays d’origine ». L’auteur évoque également les dix industries clés de la stratégie « Made in China 2025 ». Jean-Pierre Cabestan propose un portrait détaillé de Xi Jinping et de ses hommes de confiance. Depuis son accession au pouvoir, plusieurs tendances fortes se font jour : une plus grande centralisation des pouvoirs ou encore la création de nouveaux organismes. La Chine se montre de plus en plus active dans les organisations internationales : depuis 2016, elle est le 2 ème contributeur de l’ONU derrière les Etats-Unis mais devant le Japon. L’article présente surtout son entourage, généralement peu connu, avec des personnes comme Li Zhanshu et Wang Huning pour la politique internationale.

 

Les facteurs régionaux

Alice Ekman précise dès le début que « l’Asie est aujourd’hui de loin la zone prioritaire de la politique étrangère chinoise ». Son article identifie très clairement trois aspects : les grands axes de l’approche chinoise de l’Asie Pacifique, les modalités du renforcement des rivalités sino-américaines et les points de tension » que ce soit en mer de Chine, au niveau de Taïwan ou de Hong-Kong. Le gouvernement chinois doit développer les provinces pauvres de l’ouest mais selon un modèle forcément différent de ce qui a été fait jusque là et qui s’appuyait sur la littoralisation. « Fort de son expérience sur le continent africain, Pékin tente de reproduire le modèle infrastructure contre accès privilégié aux matières premières sur le continent asisatique ». Marc Julienne aborde la question des menaces terroristes. Il détaille la situation de la région autonome du Xinjiang où les Ouighours, ethnie musulmane turcophone, représente un peu moins de la moitié de la population de la région. Il précise trois facteurs qui peuvent expliquer la situation actuelle en convoquant l’histoire, la politique mais aussi des éléments extérieurs à la Chine. Ainsi, la guerre en Afghanistan a été vue comme un exemple et le djihad est apparu pour certains groupes comme une méthode de lutte efficace. L’indépendance des républiques soviétiques d’Asie centrale en 1991 a renforcé le désir d’indépendance. Du coup, la Chine se montre de plus en plus active dans la coopération antiterroriste et l’on voit exister dans la région une certaine concurrence entre Al Qaida et Daech. La Chine se penche donc sur la sécurisation des chantiers de construction qui emploient du personnel chinois.

 

Au niveau international

Antoine Bondaz aborde la question de la modernisation militaire de la Chine. Lors du défilé de septembre 2015, plus de 12 000 hommes y participaient et 84 % des matériels et systèmes militaires étaient présentés pour la première fois. C’était aussi l’occasion de montrer la nouvelle stature internationale du pays puisque ont défilé 17 contingents étrangers et on releva aussi la participation de plusieurs chefs d’Etat. L’auteur analyse la réforme menée par Xi Jinping et la volonté future de faire de l’armée chinoise une force de projection. Les chiffres sont édifiants : entre 2000 et 2016, les dépenses militaires chinoises sont passées de 37 à 215 milliards de dollars, même si la Chine reste loin derrière les Etats-Unis. Antoine Bondaz évoque ce qu’il appelle « le paradoxe de l’ascension », c’est-à-dire que même si les capacités militaires du pays s’accroissent, le sentiment d’insécurité ne décroit pas. Il faut remarquer qu’au contraire de la Russie et des Etats-Unis, la Chine n’a participé à aucune guerre de grande ampleur depuis la fin de la guerre froide. On assiste en tout cas à des changements avec par exemple la réorganisation en cinq « zones de combat ». La Chine est le membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU qui contribue le plus en terme de troupes déployées aux opérations de maintien de la paix de l’ONU.
Agatha Kranz se focalise sur la gestion des investissements à l’étranger. Ils se sont en effet multipliés depuis 2003. Certains rachats ont été médiatisés comme en 2005 lorsque Lenovo racheta une partie des activités d’IBM. Plus récemment en 2016, le géant allemand de la robotique Kuka passait sous contrôle chinois. L’auteure prend ensuite plusieurs cas pour montrer combien la situation géopolitique peut peser sur les investissements chinois, que ce soit au Zimbabwe ou au Venezuela. La Chine s’inquiète de recouvrer certains prêts consentis en Asie ou en Afrique.
Mathieu Duchâtel analyse la protection des ressortissants chinois à l’étranger. 128 millions de Chinois ont voyagé à l’étranger en 2015 contre 280 000 en 1982 ! La Chine doit assurer leur protection mais c’est parfois compliqué. Ainsi, en Libye, elle a évacué plus de 35 000 personnes alors que les autorités consulaires n’avaient dans leur relevé que 6 000 personnes enregistrées. Un tableau très complet fournit ainsi la liste des opérations d’évacuation menées entre 2006 et 2015 avec le nombre de personnes rapatriées et le mode opératoire notamment.

Cet ouvrage est une réussite car les éclairages sont tous de qualité et proposent des analyses très claires et très bien organisées des différentes facettes de la Chine. Jouant sur les échelles et les thématiques, les huit interventions permettent d’actualiser de façon à la fois convaincante et prospective les cours sur la Chine dans le monde.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes