Le mot clé du nouvel ouvrage d’Olivier Grenouilleau, plus connu pour ses travaux sur l’esclavage1, est identité, une construction « le fruit de contextes particuliers, de l’entrecroisement de forces et de jeux d’acteurs multiples »2. Faisant référence à Braudel avec son Identité de la France3, son objectif est d’aider à la compréhension de la construction d’entités territoriales et leur rapport au pouvoir central et centralisateur de la France, les jeux d’acteurs et l’instrumentalisation parfois du phénomène. C’est une histoire, à la fois, politique, culturelle, sociale, une synthèse utile des travaux de nombreux historiens.

La querelle des origines

1789, la rupture ?

En quoi le découpage des départements aux dépens des provinces a-t-il modifié profondément les sentiments d’appartenance à un territoire ? Une réflexion entre département jacobin et républicain et province traditionaliste, une opposition manichéenne qui perdure aujourd’hui ; l’auteur montre comment et pourquoi cette thématique est reprise durant tout le XIXe siècle.

L’invention du fait provincial

S’interrogeant sur les débuts de l’idée de centralisation l’auteur montre le rôle des fiefs comme entité territoriale structurante, par leur ancienneté, leur taille, ces espaces « cadres de vie », ces « pays » sont analysés en questionnant les travaux de Xavier de Planhol, notamment sur la question de l’échelle pertinente de construction politique, économique, culturelle. On trouve une intéressante analyse de l’image d’un monde ordonné et rassurant dans un monde en mutation, tant au XVe qu’au XIXe siècle, exprimée par exemple dans les Très Riches Heures du duc de Berry.

On voit comment le pouvoir monarchique s’appuie sur ces « pays », échelle facile à administrer et en même temps construit la « province » d’Ancien Régime à la fin du XVe siècle dans les Édits royaux quand se met en place la centralisation et quelle définition en donne les dictionnaires des Temps Modernes.

De la modernité des anciennes provinces

Ce troisième chapitre est l’occasion d’analyser les pouvoirs provinciaux, les éléments de résistance à la centralisation, chapitre qui intéressera les candidats aux concours4 : révoltes populaires du XVIIe siècle, opposition parlementaire et tentatives de réforme de 1685 à la veille de 1789 (notamment le projet de Turgot). l’opposition entre les États généraux et les intendants pose la question, très actuelle, de la représentativité des représentants du peuple.

De la dénonciation de l’ « esprit de province » à l’affirmation du régionalisme (vers 1789-1918)

La mise en sommeil de l’« esprit provincial » (vers 1789-1851)

Cette période complexe voit à la fois un recul des provinces au profit des départements mais en même temps un divorce entre Paris et la province, la question est mise en sommeil à partir de la Restauration par la mise en place d’une nouvelle administration. L’auteur analyse les débats de la départementalisation, les oppositions entre fédéralisme et jacobinisme. La monarchie constitutionnelle, après 1814, pose la question de façon plus technique alors même que les enjeux électoraux locaux sont vus comme une « préface à la vie politique »5. En 1848, Olivier Grenouilleau constate la permanence d’identités régionales fortes6.

Vents favorables (vers 1750-1900)

Ce cinquième chapitre reprend la question sous un nouvel angle et propose une nouvelle chronologie : 1750-1900. Il répond à la question : Comment se constituent des identités régionales parallèlement à l’émergence des identités nationales. L’étude porte sur les mécanismes politiques, mais aussi culturels et économiques qui concourent à la renaissance au XXe siècle d’un mouvement régionaliste.

De l’inventaire et la cartographie des territoires engagés sous Colbert à la Statistique générale de la France de 1833 et dans un climat romantique, c’est un ensemble qui fait naître une image de chaque territoire alors que la révolution des transports génère à la fois une ouverture des régions mais avec un accroissement des inégalités économiques et un repli identitaire que l’auteur compare brièvement aux réactions face à la mondialisation. Il évoque la naissance d’un nouveau regard sur les territoires lié au tourisme (Voyages pittoresques et romantiques de l’ancienne France, Guides-Joanne) quand l’art : peinture, littérature, aide à la cristallisation des images des provinces. Cette atmosphère accompagne la reviviscence d’un régionalisme breton, provençal qui évolue vers des revendications politiques.

De l’apogée du régionalisme (débuts XXe siècle)

Au moment où la province est un cadre propice aux études savantes, historiques, géographiques7 on assiste à une « pacification » du débat Paris-province, en lien avec l’affirmation de la République.

L’auteur analyse la position des Républicains vis-à-vis de la question régionale et l’existence d’un mouvement régionaliste dispersé sur tout l’échiquier politique mais où l’économie n’est pas absente.

Régionalismes dans ou contre l’État ? (des années 20 à aujourd’hui)

De la radicalisation au discrédit, ou du divorce entre régionalisme et République

C’est le moment, entre les deux guerres, où les « Petites Patries » cessent de renforcer la Grande Patrie, où se développe une idéologie reprise par Vichy et donc discréditée à la Libération.

L’auteur montre le rôle, notamment, de l’Église et des conservateurs dans un régionalisme étroit face à l’œuvre scolaire en Bretagne, liant question linguistique et religieuse, mais aussi en Alsace ou en Corse, trois exemples analysés en détail.

Depuis 1945, du régionalisme à la régionalisation ?

L’idée régionale réapparaît après-guerre dans un nouveau contexte comme élément d’une politique gestionnaire du territoire : la régionalisation (création de la DATAR en 1963) mais aussi dans des revendications contestataires (FNLC, mais aussi PSU). Cette évolution se concrétise avec la réforme Deferre en 1981 de décentralisation administrative et politique. L’auteur évoque la question redondante : quel échelon supprimer ? (commune, département, arrondissement) jusqu’au regroupement récent des grandes régions et aux querelles sur le choix de leur dénomination qui renvoie à l’idée d’identité régionale.

 

En conclusion Olivier Grenouilleau rappelle le jeu des échelles de la commune à l’Europe.

 

 

1Qu’est-ce que l’esclavage Gallimard, Bibliothèque des histoires, 2014 , Les traites négrières, Gallimard, Bibliothèque des histoires, 2004 et plus récemment La révolution abolitionniste, Paris, Gallimard, Bibliothèque des histoires, 2017 ou Quand les Européens découvraient l’Afrique intérieure, Tallandier, 2017

2Nos petites patries, page 8

3Paru en 1995, chez Arthaud, réédité en 2009 chez Flammarion

4Quand la question d’histoire moderne porte sur État, pouvoirs et contestations politiques, 1640-1780

5Ibid. p. 108

6Ibid. p. 110

7Une occasion de revisiter bien des auteurs jusqu’aux années 70