Le livre de Daniel L. Schaffer retrace la vie et le destin d’Anta Ndiaye, princesse du Djolof devenue esclave puis femme puissante à qui son maître Zephaniah Kingsley donna son nom et la liberté.

Comme l’écrit dans sa préface Souleymane Bachir Diagne, voilà une présentation vivante de ce que fut l’esclavage des Noirs sur le continent américain.

L’ouvrage rapporte un destin singulier qui permet à l’auteur de revisiter les royaumes de Sénégambie, la traite des esclaves de plantation, les rivalités espagnoles et américaines. La réalité est parfois cruelle puisqu’Anta Ndiaye, devenue Anna Madgigine Jay Kingsley, fut elle-même propriétaire d’esclaves jusqu’en 1861. Fuyant avec Zephaniah Kingsley les lois américaines qui menaçait sa liberté et celle de ses enfants elle s’installa en 1839 en Haïti avant de regagner la Floride pour y défendre son héritage à la mort de son mari. Elle y vécu au sein d’une rare communauté de Noirs libres du Sud des États-Unis.

Une histoire vraie, confortée par un réel travail d’historien, qui est écrite comme un roman.

Sénégal. Anta Madjiguène Ndiaye

S’appuyant à la fois sur des sources écrites et les récits oraux des griots l’auteur dresse un portrait de la Sénégambie au XVIIIe siècle1, ses royaumes islamisés comme le Djolof, les guerres permanentes entre états voisins qui permettent de se fournir en esclave de champs et de case et servent ainsi au développement de la traite arabe puis atlantique. Pour décrire la situation l’auteur s’appuie notamment sur les travaux de l’historien sénégalais Boubacar Barry.

On pénètre ainsi dans l’univers que connu Anta Madjiguène Ndiaye dans ses premières années de princesse wolof.
En 1806 date de sa capture le marché aux esclaves se tenait à Rufisque avec embarquement à Gorée, c’est l’occasion d’évoquer les Signares, des métisses très impliquées dans le commerce et la traite. On suit ce qui fut sans-doute le parcours de la jeune Anta à la maison des esclaves.

Le voyage et l’arrivée en terre américaine

En ce début du XIXe siècle dans les Caraïbes l’interdiction de la traite se répand. Cuba demeura une destination pour les navires négriers. C’est sur le port de La Havane qu’un planteur de Floride, espagnole à cette date, fit l’acquisition de trois « bozales », femmes noires esclaves dont Anta.

L’auteur décrit le voyage et l’arrivée des esclaves 2. Il présente l’acheteur un planteur qui lui aussi est armateur de navire négrier à Charlotte-Amélie sur l’île Saint Thomas. Peut-être même a-t-il vu Anta au Sénégal et était-il sur le navire qui l’amène en Amérique.

Plantations de Floride

Daniel L. Schaffer décrit la plantation de coton de Laurel Grove et la vie de celle qui se nomme désormais Anna Madgigine Jai Kingsley, épouse non officielle du maître qui l’affranchit en 1811 ; elle retrouve dans ce foyer la polygamie traditionnelle de sa terre natale. La plantation abrite une centaine d’esclaves adultes, venus de contrées variées, et leurs enfants. Anna, elle-même aura quatre enfants. Le maître de maison est souvent absent, elle se voit confié à gestion de la maison puis de la communauté des esclaves. La supervision de la plantation est confiée à un métis, situation surprenante pour les Américains venus de Géorgie s’installer en Floride.

Les kingsley sont confrontés aux ambitions américaines de conquérir cette possession espagnole. C’est la « Guerre des Patriotes », soutenue par le secrétaire d’État Monroe en 1812. L’auteur relate les aventures d’Anna Madgigine Jai Kingsley durant cette période troublée qui montre sa détermination, son courage et son souci de protéger ses enfants et ses esclaves.

Après les destructions la vie renaît à Fort George Island, la description donne à voir l’organisation des travaux agricoles dans une plantation et les idées libérales de Zephaniah Kingsley qui permet à ses esclaves de racheter leur liberté. L’organisation de l’espace du nouveau domaine semble avoir été influencé par les souvenirs africains d’Anna qui prend une part de plus en plus grande à la gestion de la plantation.

Liberté en danger

La description d’un baptême collectif en 1829 donne une idée de la société espagnole de Floride, ouverte et libérale en matière raciale. Situation mise en péril lors de la cession de la Floride aux États-Unis malgré l’action déterminée de Zephaniah pour montrer que les lois espagnoles protectrices des affranchis sont différentes des lois suprématistes et pour protéger sa descendance, en la dotant de vastes et prospères propriétés et les esclaves qui les travaillent. On ne peut que s’étonner de cette attitude favorable à l’affranchissement qu’il met en œuvre pour ses concubines dès qu’elles attendent un enfant tout en restant maître d’esclaves. Comme l’écrit l’auteur : « Cet homme [qui] avait tour à tour été négociant maritime, planteur, marchands d’esclaves, puis abolitionniste, fondateur accueillant des esclaves affranchis, et avocat du métissage »3.

L’auteur décrit une société où le préjugé racial se développe notamment pendant la Seconde Guerre Séminole (1835-1842). Pour fuir le danger la famille se réfugie en Haïti.

L’île de la liberté

C’est l’époque où le gouvernement haïtien cherche à faire venir des Noirs émancipés américains pour relancer l’économie de la première république noire.

Zephaniah fait l’acquisition pour son fils George d’une terre. Une partie de la famille s’y implante. Mais il meurt en 1843.

Retour en Floride

Anna Madgigine Jai Kingsley est de retour pour prendre possession de son héritage, l’auteur décrit les difficultés dans une Floride désormais raciste. Mais le Comté de Duval demeure un havre pour les Noirs comme le montre l’histoire des descendants d’Anna, ses filles mariées à des Blancs, et la constitution d’une communauté soudée : « L’enclave rurale où était groupés les familles Kingsley, Sammis, Baxter et McNeill, les hommes et les femmes affranchis par elles et les autres familles noires libres vivant à l’est du fleuve Saint Johns constituait une communauté libre afro-américaine unique et son genre. »4. La guerre de sécession ruina cette tranquillité et la famille se réfugia à New York.
De 1865 à sa mort en 1870 la vie d’Anna est celle d’une vielle femme vivant chez l’une de ses filles. L’auteur suit le devenir de cette famille.

Plus que la vie d’Anna, l’ouvrage de Daniel L. Schaffer est une saga familiale tissée de faits historiques.

Présentation sur le site de l’éditeur : ici

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1 Carte p. 23

2 Pour une étude en classe on pourra se reporter aux ouvrages : Marcus Rediker, A bord du négrier : une histoire atlantique de la traite, Seuil, 2013 / Bertrand Guillet, La Marie-Séraphique, navire négrier, Nantes; éditions MeMo, 2010 / Silvia Marzagalli, Jacques Baysselance, Rolland Boisseau, Corinne Gardey, Philippe Gardey, Jérôme Lauseig, Michel Roques, La traite négrière atlantique, SEREN -CRDP Bordeaux, 2009 / Jean Pierre Plasse, Journal de bord d’un négrier, Marseille, Le Mot et le reste, 2005

3 Cité p. 125/126

4 Cité p. 168

 

Anna Kingsley: A Free Woman