Après 50 ans d’un carrière de géographe, John O.Igué rédige ce que l’on pourrait appeler son testament pour la nouvelle génération de géographes africains. Son livre est un plaidoyer en faveur de la géographie comme outil de développement.
Il est béninois et auteur de plusieurs ouvrages, très impliqué dans la promotion des jeunes diplômés.
Après un état des lieux des savoirs produits par les géographes africains il remet en cause les fondements de la discipline qu’il considère comme héritière de la colonisation. Enfin il milite pour que les savoirs actuels soutiennent les politiques de développement.
L’introduction est un rappel de l’histoire de la géographie et de la pensée géographique qui la rend plurielle. Cette introduction, première approche synthétique, pourra utilement servir les candidats historiens aux concours Capes et agrégation.
Cadres et faiseurs de la géographie ouest-africaine
Un bref rappel de l’histoire de l’Afrique de l’Ouest introduit quatre chapitres sur les cadres et les hommes de la géographie ouest-africaine.
Ce sont d’abord les instituts de recherche : IFAN, ORSTOM, IRD 1 pour l’Afrique francophone, IAI et Waiser2 pour la partie anglophone ont on décrit la création, les orientations et les travaux. Vient ensuite la description et les évolutions post-coloniales des instituts africains d’Ibadan, au Nigeria, Legon au Ghana, Cheikh Anta Diop de Dakar…
La géographie de l’Afrique de l’Ouest fut d’abord le fait des voyageurs et des sociétés de géographie qui associent découverte et intérêts politiques et commerciaux. Le lecteur croise ici des grands noms de la géographie de Louis Gaston Binger qui explora la boucle du Niger à Paul Pellissier et sa thèse sur les Paysans du Sénégal, Jean Dresch (riziculture en Afrique de l’Ouest) ou Pierre Gourou qui avant de s’intéresser à l’Asie consacra une étude au peuplement du Nigeria. Ce tour d’horizon des géographes français est complété par les géographes anglophones, portugais. On retrouve en bibliographie tous leurs ouvrages sur l’Afrique de l’Ouest.
Un chapitre est consacré aux géographes non-africains qui se sont intéressés à l’Afrique après les indépendances. Ils ont souvent été impliqués dans les programmes de développement comme le montre la liste des hommes et de leurs travaux.
La relève africaine est décrite d’abord dans le monde anglophone puis francophone. Ces géographes ont souvent été formés en Occident avant de prendre leurs fonctions dans les universités africaines. Ils ont formé la seconde et la troisième génération de géographes africains.
Les étapes de la pensée géographique en Afrique de l’Ouest
La première étape a permis une connaissance approfondie du continent et de ses ressources. Elle a consolidé l’entreprise coloniale et la légitimation des frontières. L’auteur décrit ces travaux autour de trois pôles : géologie et botanique, ethno-antropologie, inventaire des ressources tant physiques qu’humaines. Il montre la géographie comme science de synthèse.
Des explorateurs aux géographes coloniaux 3 l’auteur dresse un portrait de famille et montre le rôle des géographes dans l’affirmation de l’esprit colonial. Ce tableau recoupe nécessairement la première partie et constitue une riche bibliographie. S’il insiste sur la cartographie 4, son étude est plus descriptive qu’analytique.
L’auteur dresse un inventaire des travaux des Africanistes dans les domaines de l’étude de la population, du développement agricole et du développement urbain.
On peut regretter que des affirmations comme : « Les travaux qui ont été réalisés par les Occidentaux sur chaque aspect de ces problèmes, ont tous pris une orientation partisane : celle d’une Afrique vue de l’extérieur. » 5 ne soient pas étayées par des exemples précis.
Dans un dernier chapitre l’auteur aborde les écoles africaines de géographie : nigériane, ghanéenne, francophones.
L’apport des géographes au processus de développement ouest-africain
Après un rappel de la place des géographes de la seconde moitié du XXe siècle dans les politiques d’aménagement du territoire, citant par exemple Jean-François Gravier, Paris et le désert français et la revue Hérodote ; l’auteur met en parallèle les positions des géographes français et de leurs homologues africains. Il situe son interrogation au regard de ce qu’il appelle la crise de la géographie dont les objets d’étude ont été récupérés par d’autres disciplines. Il insiste sur le militantisme des géographes, comme Pierre Gourou ou Jean Dresch, et développe quelques exemples de géographie appliquée : frontières, développement agricole, planification et gestion urbaine.
Le rôle des géographes est de former les professeurs du secondaire bien sûr pour un enseignement décrit rapidement. Il est aussi de contribuer à la création d’outils tels que les atlas régionaux et nationaux. Enfin ce sont des experts au sein des organismes de développement comme les agences anglaises, allemandes ou françaises. Ils ont notamment travailler les problématiques de la sécurité alimentaire et de l’interculturalité.
L’auteur présente les engagements politiques de quelques-uns : Assane Seck, Amadou Mathar M’Bow, Jean Pliya, Joseph Ki-Zerbo ou Emmanuel Gu-Konu. Cependant les exemples concrets font défaut.
Les limites du discours géographique aux processus de développement
Mais les géographes sont souvent absents de certaines recherches, ce que regrette John O. Igué, la culture et la religion en particulier, les frises socio-politiques qui sont des freins au développement ou la régionalisation.
Une présentation synthétique des grandes crises sera bien utile à l’enseignant français qui en trouvera les grandes lignes : conflits internes (Biafra 6, Casamance 7, Liberia, Sierra Leone, Guinée Conacry, Guinée-Bissau, Côte-d’Ivoire) ou frontaliers 8 (Burkina-%Mali, Mauritanie Sénégal e, relation avec la mise en valeur de la vallée du fleuve Sénégal). Sont également évoquées la question de Boko Haram et le fondamentalisme religieux de la bande sahélo-saoudanaise 9.
L’intégration régionale, trop souvent absente du discours des géographes, est pourtant en construction aujourd’hui : pôles de compétitivité, grandes métropoles, infrastructures comme les ports, traité de libre circulation des hommes comme des marchandises et réflexion monétaire au sein de la CEDEAO 10 et de l’UEMOA 11.
L’auteur conclut sur le nécessaire renouveau de la géographie ouest-africaine/
Un livre qui fait un point épistémologique et offre une large bibliographie sur l’Afrique.
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1Institut Fondamental d’Afrique Noire, Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer, Institut de Recherche pour le Développement
2Institut Africain international, West African Institute for Social and Economic Research
3On pourra aussi se reporter à L’Empire des géographes – géographie, exploration et colonisation XIXe-XXe siècle, Sous la direction de Pierre SINGARAVELOU, Ed Belin, collection Mappemonde, 2008
4Sur ce sujet voir : Jean-Michel VASQUEZ, La cartographie missionnaire en Afrique, science, religion et conquête (1870-1930), Editions Karthala, 2011
5Cité p. 127
6Voir : Marie-Luce Desgrandchamps, L’Humanitaire en guerre civile. La crise du Biafra 1967/1970, Presses Universitaires de Rennes, 2018
7Sur ce conflit peu connu : Christian Roche, La Casamance face à son destin, L’Harmattan, 2016 ou René Capain Bessène, Casamance, récit d’un conflit oublié, L’Harmattan, 2015
8Pourra être utile pour la question du concours
9Pour approfondir ce thème : Le Sahel en crises, Novembre décembre 2012, La Documentation française, Les nouveaux espaces du jihadisme – Menaces et réactions, Questions internationales n° 75 – En vente le 2 septembre 2015, La Documentation française, Colonel Boubacar Diallo, Les armées d’Afrique de l’Ouest face à la menace des groupes politico-militaires, Editions l’Harmattan, 2019
10Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest
11Union économique et monétaire ouest-africaine