Philippe Boulanger, Bétrice Giblin, Denis Rétaillé seront présents aux rendez vous de l’histoire de Blois, vendredi 14 octobre 2011, 15 h 45 – Amphi 3 antenne universitaire. Leurs interventions seront mises en ligne en temps réel, sur le site Clio-Conférences

http://www.clionautes.org/spip.php?rubrique151

Largement présent sur cette nouvelle question du concours, l’éditeur Armand Colin publie simultanément deux ouvrages dans cette collection désormais très classique, du premier cycle universitaire.
L’ouvrage de Philippe Boulanger, apparaît comme une mise au point très actualisé des situations de tensions internationales qui se sont développées après l’effondrement du bloc soviétique, et dans le contexte nouveau de la globalisation.
Très clairement, dans la partie consacrée au nouvel équilibre géostratégique, l’auteur évoque la remise en cause de l’ordre westphalien, qui avait jeté les bases de la notion de souveraineté politique de l’État et de la défense de ses sa tribu, y compris par la guerre. Cet ordre Westphalien est aujourd’hui remis en cause par des processus de désintégration de certains états, dans lesquels des entités infra nationales prospèrent. Très clairement, c’est dans ces espaces où les états constitués sont impuissants à exercer leur souveraineté, que prospèrent ces zones grises qui forment autant de zones de tensions, le plus souvent conflictuelles.

La nouvelle conflictualité est de plus en plus infra étatique, il existe de moins en moins de différence entre le combattant et le non-combattant, avec des milices qui font office d’autorités locales et se mélangent aux populations civiles.
La géographie des conflits sur fond de mondialisation prend en compte, d’après l’auteur, différentes pressions géostratégiques.

Il s’agit tout d’abord de la pression démographique, avec des phénomènes de compétition pour les terres et l’eau, le grossissement des flux migratoires, et par voie de conséquence, la production de nouvelles frontières que l’on appelle désormais, la barrierisation.
Depuis 1991, 26 000 km de nouvelles frontières internationales ont été créés on pense évidemment, à la dislocation de fédération comme celle de la Yougoslavie ou de l’URSS, mais le phénomène est sans doute le plus intéressant est celui de la reterritorialisation des états. Cela signifie notamment qu’ils cherchent à mieux délimiter la frontière, à éviter les infiltrations, et pas seulement de terroristes comme dans les territoires occupés en Cisjordanie, mais également à affirmer une souveraineté, ce qui a été le cas de la ligne verte avec le Maroc dans le conflit du Sahara.
La délimitation des territoires s’inscrit également dans une quête permanente et renforcée aux matières premières, tant pour l’accès aux ressources que pour le transit, que ce soit à travers le Caucase où l’Ukraine.

De plus en plus de zones grises

Philippe Boulanger examine également cette notion d’arc de crise qui a le Moyen-Orient pour centre de gravité mais qui touche en partie l’Europe avec le maintien de situations de tension dans les Balkans, le Caucase, l’Asie centrale, l’Asie du Sud-Est et enfin l’Asie orientale.
Les tensions sont multiples et certaines sont déjà très anciennes, comme le face-à-face entre les deux Corée, celui de la Russie et du Japon à propos des îles Kouriles, ou encore les tensions récurrentes entre l’Inde et le Pakistan à propos du Cachemire.

On gagnera à s’intéresser tout particulièrement à la question de l’Arctique, qui permet dans certains milieux de présenter le réchauffement climatique comme ayant des effets positifs. Il est clair qu’une diminution de moitié de la superficie de la calotte glaciaire permettrait de développer de nouvelles routes maritimes et de réduire de plus de 25 % certains trajets. En passant par le canal de Suez, il faut pour relier l’Asie orientale à l’Europe occidentale 21 000 km, qui serait ramenée à 13 500 par le passage du nord-est. L’Arctique disposerait de près de 22 % des réserves mondiales non prouvées en hydrocarbures, avec sans doute 90 milliards de barils de pétrole. Cette question de l’Arctique pourrait même accoucher d’un séparatisme du Groenland, territoire autonome rattaché au Danemark, qui serait tentés de prendre son indépendance à partir des zones de pêche et des gisements de pétrole s’il venaient à être exploités.
Au passage, de nouvelles tensions pourraient également voir le jour, y compris avec le paisible Canada, qui a rebaptisé la route du nord-ouest qui passe à proximité de ses côtes : passage canadien du nord-ouest » tandis que l’Union européenne et les États-Unis demandent à ce qu’elle soit considérée comme un couloir international. La morphologie structurale sert également à appuyer des revendications d’extension des plateaux continentaux, au-delà des 200 milles marins, des zones économiques exclusives, en demandant le droit d’extension de plateaux continentaux, à partir des dorsales mediocéaniques.

Une nouvelle course aux armements

Dans un monde de tension, il apparaît somme toute logique qu’une nouvelle course aux armements se fasse jour. Entre 2001 et 2010, le montant global des dépenses militaires mondiales est passé de 839 milliards à 1630 milliards de dollars. Très clairement, un doublement. Ce secteur économique apparaît comme de plus en plus caractérisé par une concentration industrielle, dans tous les pays, et notamment en Europe et aux États-Unis, mais dans ce contexte de mutations géostratégiques, les industries d’armement américaine restent prépondérantes. Les 15 premières entreprises vendant du matériel militaire sont d’origine occidentale, mais la Chine et la Russie tendent à redéployer leurs activités vers l’exportation, qui n’a plus rien d’idéologique comme au temps de la guerre froide, mais qui apparaît comme un bon moyen de faire « rentrer des devises ».
La numérisation de l’espace de bataille, suppose également une intégration de plus en plus importante des industries « civiles », à ce que l’on peut toujours appeler, 40 ans plus tard, le complexe militaro-industriel. L’intégration civilomilitaire constitue ainsi une mutation majeure de ces industries d’armement et de la mondialisation des économies militaires.
Toutefois, il n’existe pas de marché mondialisé ouvert puisque l’État national conserve la maîtrise des commandes de l’industrie d’armement et la législation sur les exportations. De plus, au-delà des productions d’armes légères et de petit calibre « bas de gamme » mais sans doute les plus meurtrières, la question des coûts se pose avec de plus en plus d’acuité, surtout en période de crise économique.
Toutefois, les incertitudes géopolitiques ont permis aux états-majors d’obtenir que les différents gouvernements maintiennent globalement leur effort, à l’exception notable du Royaume-Uni.
Entre 2011 et et 2012 l’armée de terre française disposera de l’équipement individuel du fantassin le plus sophistiqué du monde, avec le système félin, fantassin équipé de liaisons numériques pour un cout de 30000 € par soldat.Les TICE ça peut coûter cher non ?

En fait, le marché des armements ne suit pas systématiquement les tendances de l’économie mondiale puisque la crise financière et économique de 2008 a été traversée par les grandes entreprises de l’armement avec une certaine aisance. Le groupe français Thalès a même enregistré une progression de 23 % entre 2007 et 2008.

Les dépenses militaires mondiales sont en constante augmentation, et ont dépassé les 1500 milliards de dollars. Les États-Unis sont toujours largement en tête en représentant à eux seuls 41,8 %, soit 708 milliards, un chiffre qui doit beaucoup aux interventions en Irak un Afghanistan mais également à la modernisation des équipements de l’armée, notamment l’achat d’hélicoptères de combat et de drônes.
Même si le marché de l’occasion est toujours actif, avec des équipements rustiques et vendus à bas prix des protagonistes de la guerre froide, c’est surtout le marché du matériel neuf qui est stimulé par la rapidité du progrès technologique. Des pays comme la France et l’Allemagne ont dépassé les 20 % de dépenses supplémentaires entre 2006 et 2008, tandis que le Royaume-Uni est resté stagnant avec seulement 2,3 % d’augmentation.
Le commerce mondial des équipements de défense a également augmenté de 20 % par rapport à l’an 2000. Cela représente près de 20 milliards de dollars constants et ce qui est tout de même inquiétant, c’est que c’est le commerce des armes légères en particulier qui semble le plus profiter de cette croissance. Encore une fois, ce sont les États-Unis qui restent les plus importants vendeurs d’armes au monde, soit les deux tiers des ventes, une hausse qui s’explique par d’importantes nouvelles commandes de clients au Proche-Orient et en Asie avec des matériels de plus en plus sophistiqués, et de plus en plus cher. Les délocalisations compétitives concernent également ce secteur, puisque les pays producteurs d’armes importent également des types d’armes de technologie, les États-Unis constituent un débouché industriel important pour les productions européennes anglaises, françaises et italiennes.

Les grandes puissances d’aujourd’hui et de demain

Le troisième chapitre présente des données actualisées sur les grandes puissances militaires. Les États-Unis, surtout pendant la présidence de George Bush ont développé une doctrine interventionniste, mais cette capacité d’intervention ne semble pas être remise en cause avec son successeur. Les États-Unis maintiennent un réseau de théâtre d’opérations planétaires depuis 1945 avec une organisation en commandements régionaux, qui permet l’interopérabilité des forces. La puissance militaire américaine rencontre tout de même des limites, la première porte sur le défi de la menace asymétrique avec des adversaires qui utilisent des outils différents, des armes légères aux engins explosifs improvisés.
Malgré de très sérieuses difficultés sur plusieurs théâtres d’opérations, en Afghanistan comme en Irak, dans le combat de montagne comme dans le combat urbain, l’armée américaine a été conduite à s’adapter très rapidement et à développer de nouveaux matériels ou de nouvelles doctrines d’emploi. Toutefois, les limites les plus importantes sont liées aux difficultés pour l’armée américaine de s’imposer autrement que comme une armée d’occupations et dans les risques de voir l’opinion basculer, ce qui s’était déjà produit lors de la guerre du Vietnam. Jusqu’à présent, grâce à la défense de valeurs positives face à un terrorisme présenté comme l’incarnation de la barbarie, grâce également un outil de propagande de mieux en mieux affûté, ce basculement de l’opinion publique ne s’est pas encore produit, même si le coût humain commence à devenir relativement important. Au passage, l’auteur ne souligne pas, en tout cas dans ce chapitre l’évolution vers une forme de privatisation de la guerre qui s’est manifestée en Irak par le développement de sociétés militaires privées d’origine américaine.

La renaissance de la puissance militaire russe est sans doute l’une des parties les plus importantes de cet ouvrage qui en compte beaucoup. Cette armée russe qui avait fait trembler l’Europe à l’époque de l’Union soviétique, qui avait inspiré la pitié devant ses officiers transformés en clochards avec le départ des pays de l’Est et des pays d’Asie centrale devenus indépendants, a entamé un processus d’amincissement, donc de réduction de ses effectifs, mais également de modernisation qui tend vers une professionnalisation. Cela constituerait sans doute le changement le plus important, tant la référence au peuple en armes pendant la Grande guerre patriotique a pu être importante. Cette armée russe, engagée à plusieurs reprises dans des opérations militaires dans le Caucase, a tout de même acquis une expérience opérationnelle importante, d’autant plus que celle-ci s’est de plus en plus engagée dans le cadre d’opérations de maintien de la paix, dans les Balkans comme dans certains pays d’Afrique. Les effectifs sont évidemment modestes pour l’instant, mais cette réaffirmation de la présence militaire russe vise à redonner toute sa crédibilité à la nouvelle Russie.
Sans doute pour satisfaire la partie de la population la plus conservatrice, la réaffirmation de l’OTAN comme une menace fait toujours recette. L’intervention contre la Géorgie en 2008 a été l’occasion de rappeler à la fois la proximité des réseaux d’approvisionnement pétrolier du pré carré russe et en même temps une occasion de faire comprendre que la présence de l’OTAN sur le flanc sud oriental de la Russie n’était pas souhaitable ni souhaitée.
Plus classique dans sa présentation, la réforme de la présence militaire chinoise, notamment navale mérite également d’être soulignée. Si la littérature spécialisée a évoqué à plusieurs reprises la stratégie du « collier de perles », avec la constitution : d’appuyer de base navale dans l’océan Indien, on notera que les préoccupations de la marine chinoise s’oriente désormais vers la route reliant l’Asie à l’Europe par le détroit de Béhring, l’océan Arctique et la mer de Barents. Le maintien d’un certain soutien à la Corée du Nord est sans doute la conséquence de la nécessité pour la marine chinoise de haute mer d’exercer un éventuel contrôle sur cette route du futur reliant le Pacifique du Nord à l’Atlantique. L’augmentation du budget militaire est en pourcentage tout à fait considérable, avec une augmentation de 15 % par en moyenne, ce qui le porte à 90 milliards de dollars avant 2006. Entre 2006 et 2008, il a pu atteindre 187 milliards de dollars. Au-delà d’un effort considérable d’équipement, l’armée populaire de libération est également en voie de réduction de ses effectifs, passant de 4,8 millions d’hommes en 1980 à 2,2 millions en 2005. En 2015 cet effort devrait se poursuivre avec un véritable planification des acquisitions qui rappellent beaucoup les livres blancs occidentaux.

Encore une fois, Pékin souhaite atteindre les standards technologiques occidentaux en consacrant des moyens très importants à la recherche-développement de défense, permettant de développer simultanément un avion de combat furtif, un nouveau sous-marin d’interdiction diesel électrique plus performant que les anciens classe kilo un programme de porte-avions et enfin les armes antisatellites, avec une expérience de tir réussie en 2007. La puissance militaire chinoise connaît une phase de transition avec un objectif clairement affiché de faire de son armée un instrument de projection de puissance.
Pour l’Inde, les budgets de défense ont connu également une augmentation importante en pourcentage, mais par habitant, l’investissement reste relativement faible. Toutefois, en achetant du matériel d’origine russe, mais également occidental, un effort considérable de modernisation, surtout dans le domaine naval est en cours. Il est évident que la politique chinoise du collier de perles n’est pas étrangère à ce redéploiement de la puissance militaire indienne vers l’océan Indien ce qui est somme toute assez logique.

Destiné au départ à servir de manuel de base aux candidats qui préparent le concours avec la question traitant de la « géographie des conflits », ce livre de Philippe Boulanger, professeur associé aux écoles militaires de Saint-Cyr Coetquidan et à l’école de guerre de Paris, peut être très largement utilisé par un public un peu lassé des approximations médiatiques. Il servira sans nul doute d’ouvrage de référence pour une bonne partie des candidats qui présentent les concours internes de l’armée de terre comme l’entrée à l’École militaire interarmes, où une épreuve d’histoire des relations internationales et de géopolitique existe pour la filière lettres.
Enfin, les professeurs d’histoire et de géographie sauront sans doute, malgré la réduction de voilure de leurs disciplines tirer le plus grand profit de ces références actualisées et de cette présentation très claire des enjeux conflictuels du monde contemporain.

Bruno Modica ©