A travers le parcours de Louis Darquier de Pellepoix, trublion et activiste d’extrême droite, Laurent Joly propose ici une étudeCet ouvrage est la version actualisée de celui paru en 2002 chez Berg international, Darquier de Pellepoix et l’antisémitisme français. passionnante sur les fondements et les rouages de l’antisémitisme, du fascisme ainsi que du négationnisme français. Laurent Joly, directeur de recherche au CNRS et éminent spécialiste de ces questionsIl est notamment l’auteur de « Vichy dans la solution finale. Histoire du commissariat général aux Questions juives (1941-1944) » (2006), « Les Collabos. Treize portraits d’après les archives des services secrets de Vichy, des Renseignements Généraux et de l’Épuration » (2011), « Naissance de l’Action française. Maurice Barrès, Charles Maurras et l’extrême droite nationaliste au tournant du XXe siècle » (2015), « L’État contre les juifs » (2018) ou « La Rafle du Vel d’Hiv » (2022)., démontre avec brio que Darquier est un maillon entre deux époques. Il est un activiste né du nationalisme et de l’antisémitisme de la fin du XIXe s. inspirés par Drumont et Maurras et, lorsque ce genre de discours n’est plus possible après 1945, il reconvertit alors sa haine dans la négation du génocide. Darquier « fait le lien entre l’activisme antijuif né de l’affaire Dreyfus et la nouvelle forme d’antisémitisme radical qu’est le négationnisme » (p.21). A propos du négationnisme, on ne peut que citer cette phrase tirée de l’interview de Darquier débusqué en Espagne par Philippe Garnier-Raymond et parue dans L’Express le 28 octobre 1978 : « Je vais vous dire, moi, ce s’est exactement passé à Auschwitz. On a gazé. Oui, c’est vrai. Mais on a gazé les poux. » Une phrase qui résume à elle seule tout le goût de la provocation et l’antisémitisme profond qui ont été au cœur de l’engagement politique de l’ancien commissaire général aux Questions juives de 1942 à 1944 et collaborateur sans scrupules.

L’affirmation d’un « antisémite moderne » à la fin du XIXe siècle

Au XIXe siècle, « l’antisémitisme moderne renouvelle en profondeur l’antijudaïsme chrétien multiséculaire pour devenir une forme inédite, sophistiquée et paranoïaque de racisme » (p.25). Il repose sur une rhétorique simple et bien rodée : le juif est inassimilable et il prépare un complot international, il est donc un danger pour la France et ses traditions, il existe donc combat à mort entre « eux  » et « nous ». Une fois que cette idéologie commence à imprégner les esprits, l’activisme antisémite se développe. Laurent Joly relève quelques étapes importantes :

  • En 1886, Edouard Drumont publie La France juive. Il y théorise un nationalisme racial centré sur le juif ennemi intérieur. Il propose d’unir les « vrais » Français contre cette menace. Pour reprendre les termes de Pierre Milza, Drumont offre un véritable « ciment idéologique ».
  • L’activisme antisémite s’épanouit avec le boulangisme et l’affaire Dreyfus. Barrès, se présentant aux élections législatives à Nancy en 1889, tente de donner à sa clientèle électorale une cohérence doctrinale au boulangisme. Il reste attaché au libéralisme économique et, en guise de socialisme, il offre un « populisme antisémite » (p.30).
  • L’affirmation de l’antisémitisme dans les institutions républicaines est aussi un marqueur important de cette période avec Francis Laur, agitateur à la Chambre des députés et les « républicains » ouvertement xénophobes élus au conseil municipal de Paris comme Gaston Méry n’hésitant pas à proclamer « A bas les juifs ».

Un fascisme à la française

Pour Philippe Burin, l’idéologie fasciste s’est développée en France autour du projet « d’unification totalitaire de la nation » mais sans le thème de l’impérialisme conquérant. Cela explique la focalisation sur les ennemis intérieurs que sont les Juifs. Ainsi, l’antisémitisme et la nationalisme structurent le fascisme français. Laurent Joly souligne bien sûr le rôle essentiel joué par L’Action française de Charles Maurras, au départ disciple de Drumont. « Le nationalisme sera antisémite (…) ou ne sera pas entier, intégral » déclare Henri Vaugeois le fondateur en 1902. Charles Maurras théorise l’antisémitisme d’Etat qui vise à enlever la nationalité française aux Juifs qui la possèdent. Avec la Première Guerre mondiale et la révolution bolchévique l’ennemi redevient extérieur. La nécessité patriotique du moment fait taire, un temps, l’antisémitisme. Il faut attendre le début des années et François Coty pour qu’il soit relancé dans la presse au travers de journaux comme L’Ami du peuple qui accuse la « finance judéo-germano-américaine, complice des Soviets, de mettre la main sur notre or (…) et venir ainsi à bout de la France, dernière citadelle de la civilisation, du Droit et de la Liberté » (8 février 1932). Sous l’influence du nazisme et du fascisme mussolinien naissent en France des partis fascistes comme la Solidarité française, le Parti franciste de Marcel Bucard ou le Parti français national-communiste (PFNC).

Louis Darquier et la fabrication d’un activiste antisémite

Louis Darquier est né, en 1897, dans une famille bourgeoise d’un père radical-socialiste et dreyfusard. Laurent Joly souligne l’absence de tradition antisémite et détaille alors ce qui peut expliquer alors sa « conversion ». En 1915, il abandonne ses études et demande son incorporation dans les armées. Son dossier militaire révèle des débuts prometteurs mais aussi et surtout la déception de ses supérieurs face à son indiscipline et son manque d’investissement au service des autres. Pour la suite du parcours, Laurent Joly s’appuie notamment sur la biographie de Carmen Callil. Echouant à obtenir sa licence ès sciences, il bénéficie, grâce à son père, d’un appui important en la personne d’Anatole de Monzie qui lui obtient un poste au sein des Grands Moulins de Paris dirigés par Ernest Vilgrain. Il mène une vie de débauche et détourne de l’argent. Après son renvoi, Louis commence sa carrière « d’esbroufeur errant » (p.65) se faisant passer pour le descendant du baron de Pellepoix et ajoute la particule à son nom. Il fait la rencontre de Myrtle Jones avec qui il se marie en 1928. Après un séjour en Australie, le couple s’installe à Londres où Louis, violent, fait vivre à Myrtle, alcoolique, une existence « miteuse « p.66). Lui rêve de gloire littéraire et compose des romans et nouvelles dont un titre est évocateur : A la recherche de la France perdue (1931). Une lettre, envoyée à Maurras et retrouvée dans les archives privées de ce dernier, souligne déjà son profond racisme. Ayant touché le fond, il abandonne pour un temps sa femme, revient en France où il se fait héberger chez son frère Jean, médecin et admirateur de l’Action française. Pour Laurent Joly, « cette conversion politique est aussi une conversion religieuse. Sous l’influence de sa mère, fervente catholique, Darquier traverse une période mystique » (p.67).

Le 6 février 1934, la « chance de sa vie »

Le scandale Stavisky, le parfum d’antiparlementarisme et la révocation de Chiappe, préfet de police proche des ligues, provoquent une atmosphère insurrectionnelle à l’origine du 6 février 1934. Ce jour là, Darquier est place de la Concorde avec L’Action française. Il est touché par une balle au mollet. Pour Laurent Joly, c’est « la chance de sa vie » (p.70). Son nom est cité dans L’Action française ! Il a désormais un objectif : créer une association qui réunira les blessés du 6 février, ce sera l’association des Blessés et Victimes du 6 février 1934. Il se fait remarquer lors des commémorations du premier anniversaire de 1935. Il y affirme déjà un style à la fois fascisant et raciste qu’il développera dans les années suivantes : « Le 6 février a été un sursaut français contre une bande de politiciens corrompus et de financiers juifs métèques, et ce 6 février, sous une forme ou sous une autre, il se refera » (Le Bulletin municipal officiel de la ville de Paris, 11 juin 1936).

Désormais, Darquier se montre beaucoup et se rend indispensable afin d’assouvir ses ambitions politiques. Ainsi, en 1935, il devient conseiller municipal de Paris grâce à un court succès électoral dans le quartier des Ternes (XVIIe arr.) … sans mener une campagne antisémite. Il quitte la ligue des Croix de Feu du lieutenant-colonel de La Rocque qui l’accuse de « snob et de salonnard du Conseil municipal ». Darquier quitte une ligue qu’il trouve trop timorée et reste fidèle à l’Action française plus violente. Il fait régulièrement la une du journal de la ligue. Cette attitude de plus en plus extrémiste le marginalise et l’empêche de se présenter aux élections législatives. Pour Laurent Joly, « cet échec, qui coïncide avec la victoire du Front populaire (…), va décider de la nouvelle orientation de sa carrière » (p.82) : c’est l’entrée dans la carrière antisémite.

L’entrée dans la carrière antisémite

Lors de ses débuts sur les bancs du conseil municipal, les interventions visant les juifs ne font pas encore partie de la rhétorique de Darquier de Pellepoix. Pour Laurent Joly, « xénophobie et racisme sont au cœur de ses convictions politiques, mais l’antisémitisme n’est encore ni théorisé ni exploité » (p.85). C’est Henry Coston et son Centre de documentation et de propagande (CDP) qui vont faire de l’antisémitisme le fondement de l’idéologie nationaliste et fasciste de Darquier. Il est invité à des réunions et on lui donne l’occasion de s’exprimer avec fougue aux côtés de Raoul Follereau ou de Jacques Ditte.

C’est l’affaire de la rue Asseline, faisant suite à l’agression de Léon Blum le 13 février 1936, qui lance la carrière antisémite de Darquier. L’Action française est interdite et des militants socialistes attaquent la permanence de l’ancienne ligue rue Asseline où ils blessent le Dr Gonse, un ligueur. Quelques jours plus tard, on apprend qu’un des assaillants était juif. Il n’en faut pas plus à Darquier pour se saisir de cet incident et de dénoncer, au conseil municipal et dans la presse, les « Français de fraîche date, les juifs internationaux, les financiers cyniques, les métèques escrocs et toute leur clique de parasites » (Le Jour, 19 février 1936). Pour l’auteur, « aussi vite qu’il s’est emparé de la cause du 6 février, il se jette sur celle de l’antisémitisme » (p.92).

Profitant du climat délétère né la victoire du front populaire, Darquier avance alors « ses pions antisémites » (p.101) et il ne se passe plus une séance du conseil sans une provocation antisémite, toujours avec un aplomb sans limites. Le 4 juin 1936, Darquier de Pellepoix dépose une proposition au conseil général de la Seine visant à annuler les naturalisations effectuées depuis le 11 novembre 1918 et à promulguer un statut particulier règlementant pour les Juifs le droit de vote, l’éligibilité et l’accession aux fonctions publiques. Proposition qui est discutée lors de la séance du 17 juin. La « complaisance d’une partie de ses collègues » de droite et d’extrême droite ainsi que les réactions désordonnées de l’opposition lui permettent de développer ses propos haineux. Il insultera même Georges Hirsch de « sale petit juif » et l’agressera à la fin de la séance déclenchant une bagarre générale.

Darquier crée le Club national afin de séduire les jeunes et les anciens ligueurs, notamment ceux de l’Action française. Le programme est nationaliste, fasciste, anticommuniste, raciste et antisémite et a pour objectif la « rénovation nationale ». Darquier dote même son Club d’un service de documentation « sur les juifs et les métèques ». Remarqué par le Service mondial, organisation antisémite nazie basée à Erfurt, il devient un « agent appointé de la propagande nazie en France » (p.111) et bénéficie de financements venus d’Allemagne.

Le « propagandiste antisémite à temps plein »

Darquier se rapproche de Henry Coston et de son journal hebdomadaire La Libre parole et de Henri-Robert Petit qui dirige le Centre de documentation et de propagande. Ces relations, lui valent, en avril 1937, d’être nommé président du nouveau Comité antijuif, Petit en est le secrétaire général. Ils réussissent à rassembler toute la famille antisémite, antimaçonnique et fasciste française lors d’un premier meeting salle Wagram le 11 mai 1937. A la tribune, Darquier proclame qu’avant que la guerre n’éclate, il faut « résoudre la question juive, soit par l’expulsion soit par le massacre ». Mais l’union est de courte durée notamment à cause des tensions entre Coston et Petit.

Darquier crée alors le Rassemblement antijuif de France et lance ses journaux antisémites L’Antijuif puis La France enchaînée. Le Rassemblement a pour objectif de « défendre les libertés françaises mises en péril par l’action conjuguée des Juifs (…) et la juiverie internationale ». Le programme prévoit d’expulser tous les Juifs dans un vaste Etat de l’Est comme la Russie. Pour Laurent Joly, Darquier « dit tout haut ce que les nazis planifient tout bas » (p.130). Le succès est très relatif, Le Rassemblement n’a certainement jamais dépassé le millier d’adhérents et La France enchaînée n’a pas plus de lecteurs. Mais Darquier peut compter sur des adhérents de renom comme Marcel Jouhandeau et un sympathisant prestigieux en la personne de Louis-Ferdinand Céline. L’action de Darquier incarne désormais le « syncrétisme d’idées maurrassiennes, fascistes et nazies » (p.133). Darquier, admirateur des régimes fascistes, réclame la constitution d’un triangle Paris–Berlin-Rome. S’il n’est pas germanophile, « il admire simplement l’antisémitisme nazi » (p.139). D’Hitler, il dit qu’il est le seul à avoir le courage de prendre à bras le corps le problème juif ! D’autant plus, que l’Allemagne nazie finance les mouvements de Darquier afin d’affaiblir le pays. A la veille de la guerre, Darquier et son Rassemblement antijuif de France se radicalise toujours plus. A Strasbourg, le 25 octobre 1938, il appelle à « la destruction de la juiverie ».

Ses activités en lien avec le Rassemblement antijuif accaparent désormais tout son temps, il est ainsi de plus en plus absent de son siège de conseiller municipal. Pour Laurent Joly, « il n’est plus un conseiller municipal mais un propagandiste antisémite à temps plein » (p.145). Lorsqu’il est présent, Darquier intervient en faveur de mesures visant les Juifs et notamment afin de dénaturaliser tous les juifs. Avec des phrases comme « chaque fois qu’on entre ici, il y a un juif à la tribune », Darquier « met la barre tellement haut qu’il rend acceptable l’antisémitisme de ses collègues conservateurs » (p.153).

La marginalisation puis le retour aux affaires de la « vedette de l’antisémitisme »

Le contexte international de l’année 1939 marginalise Darquier de Pellepoix. Ses outrances ne passent plus et il est vu comme un traître potentiel, un agitateur qui soutient l’Allemagne nazie. La Sureté nationale le surveille ainsi que son Rassemblement antijuif. Le décret-loi Marchandeau réprimant la propagande raciste et antisémite précipite sa mise en quarantaine et le traîne devant le tribunal. Le premier a lieu face à Bernard Lecache ayant porté plainte pour des propos racistes comme « excréments de ghetto » après avoir reproché à Darquier d’être vendu aux nazis. En appel, les deux sont condamnés à verser une amende. Ses propos antisémites lui valent un deuxième procès, en juillet, qui condamne Darquier à 3 mois de prison et de 500 francs d’amende. Seule la guerre lui permet d’y échapper. Darquier s’y montre être un chef de section courageux, il reçoit même la croix de guerre avec palme. Il est fait prisonnier le 15 juin 1940. Même interné dans un camp allemand, il ne peut s’empêcher de faire une conférence sur la « question juive ». Il est finalement libéré à l’automne 1940 sur intervention probable d’Otto Abetz qui voit en lui une « vedette de l’antisémitisme ».

Pour les anciens antisémites comme Darquier, Petit et Coston l’heure de gloire est arrivée et ils peuvent dénoncer les néo-antisémites convertis par opportunisme. Ce dernier, dans Au Pilori, accuse les « margoulins qui bouffent aujourd’hui du Juif à l’abri des coups ». Henri-Robert Petit, à la tête du journal, multiplie les menaces : « les Juifs de France doivent payer ou mourir » et les outrances notamment à l’égard de Pierre Laval. Les autorités allemandes le remplacent par Jean Lestandi un « fervent partisan de la collaboration franco-allemande » (p.172). Gracié par la chambre des appels correctionnels, Darquier retrouve en octobre 1941 son mandat municipal. Tout en soutenant la politique du maréchal Pétain, il se montre discret en attendant son heure, il « adopte la posture de l’antisémite providentiel qui attend dans sa retraite » (p.176).

Le nouveau commissaire général aux Questions juives

Il faut attendre 1942, pour que son nom soit évoqué afin de remplacer Xavier Vallat à la tête du commissariat général aux Questions juives, véritable ministère de l’antisémitisme visant notamment à préparer les lois antisémites françaises et d’en surveiller l’application. Vichy préfère Darquier à Doriot le chef du PPF « qui a plus d’épaisseur politique et dont l’inféodation aux autorités allemandes apparaît plus menaçante » (p.178). Pierre Pucheu hostile à cette nomination et Vallat s’accrochant à son siège, Darquier ne devient officiellement le nouveau commissaire que le 6 mai. Ce même jour, Reinhard Heydrich est de passage à Paris auprès du général Oberg, le commandant en chef supérieur des SS et de la police allemande en France. Heydrich en profite pour s’entretenir quelques instants avec Darquier en présence d’Helmut Knochen, bras droit d’Oberg.

A la tête d’une administration d’un peu plus de 1000 employés, Darquier s’entoure d’amis politiques comme Pierre Galien ou Pierre Gérard et recrute des fonctionnaires « compétents » comme Lucien Boué à la direction générale de l’Aryanisation économique ou François Carlotti à la direction des services administratifs et financiers. Imposé par les Allemands, Darquier « agace par ses réclamations incessantes » (p.185) le gouvernement et la haute administration. Il obtient, à la demande des Allemands, la fusion du SCAP et de la direction de l’Aryanisation économique dans une direction générale de l’Aryanisation économique sous la houlette de Pierre Gérard ainsi que la création d’une direction policière après un bras de fer avec René Bousquet : la Section d’enquête et de contrôle (SEC). Laurent Joly remarque que « l’essentiel de son travail administratif est superficiel. Il abreuve ses agents de notes de service sur la discipline, l’usage du téléphone, la ponctualité, sans oublier les prescriptions antisémites » (p.186). Par exemple, dans une note du 9 septembre 1942, il écrit :  » Au CGGJ, un juif doit être appelé un juif, et on ne doit pas écrire « Monsieur Lévy » ou « Monsieur Dreyfus », mais le « juif Lévy » ou le « juif Dreyfus ».

Un commissaire zélé mais peu compétent

En réalité, s’occupant essentiellement de la gestion de l’aryanisation des biens juifs, le CGQJ est le plus souvent tenu à l’écart de la politique de répression antijuive laissée à un René Bousquet bien plus compétent. Par contre, pour la rafle du Vel d’Hiv, le CGQJ n’est pas écarté. Le 4 juillet 1942, dans le bureau de Knochen, Darquier assiste à une réunion au sujet de « l’évacuation des Juifs de France » entouré de Theodor Dannecker et René Bousquet. Ce dernier se décharge immédiatement sur Darquier et lui laisse « les responsabilités infamantes » (p.187). Darquier est dépassé et semble effrayé par une telle responsabilité. S’il accepte avec fébrilité, il compense par son zèle habituel. Dans un rapport à Pierre Laval, daté du 23 juillet, il regrette le trop faible nombre d’arrestations et propose de nouvelles mesures. Le double de cette lettre est transmis aux Allemands comme preuve de l’ardeur au travail du commissaire.

Justement, Darquier propose de renforcer les mesures antisémites en étendant, par exemple, le port de l’étoile jaune à la zone sud ou en retirant la nationalité française aux Juifs l’ayant acquis par la loi de 1927. Cette dernière proposition a été très sérieusement étudiée par le gouvernement de Vichy qui en fait un projet de loi. Mais, au dernier moment, « le vent de la guerre ayant changé » (p.191), le maréchal Pétain ne promulgue pas la loi. Laurent Joly souligne ici le rôle des services de Darquier afin d’aggraver la loi sur un point : l’épouse juive d’un juif dénaturalisé suivra le sort de son mari, même si elle est française d’origine, ainsi que ses enfants. Les succès législatifs de Darquier sont très maigres même si en 1942 il réussit à rendre obligatoire l’apposition du timbre « juif » sur les cartes d’identité et d’alimentation.

La chute du propagandiste

Darquier continue à s’intéresser de près à la propagande antisémite. Il intervient régulièrement à la radio dans une émission intitulée « La Question juive en France et dans le monde ». Il réussit aussi à obtenir la création d’une chaire d' »histoire du judaïsme » à la Sorbonne grâce au soutien d’Abel Bonnard. Ainsi, le 15 décembre 1942, Henri Labroue donne sa première leçon en présence de Darquier de Pellepoix. A la fin de l’année, grâce aux crédits obtenus, il peut mettre en place une direction de la Propagande au sein du CGQJ, confiée à Pierre Gérard. Il relance l’ancien Rassemblement antijuif sous le nom d’Union française pour la défense de la race. Pour Laurent Joly, l’UFDR est « une synthèse de l’ensemble des projets et réalisations qu’il avait initiés à la fin des années 1930 » (p.198). Les seules activités notables se résument à subventionner des associations ou des revues antisémites et à développer des émissions radiophoniques. Le slogan qui lance et clôture les émissions résume parfaitement le fond haineux de ces émissions : « Nous avons tout perdu. Notre seul trésor national est désormais notre race ». La portée de la propagande étant très limitée, l’UFDR se rabat « sur de bases œuvres » (p.203) et communique, par exemple, des lettres de dénonciation à la Gestapo. En octobre 1943, les autorités allemandes mettent un terme et supprime l’UFDR et, en février 1944, Darquier est finalement démis de ses fonctions dans une ambiance de scandale et de corruption.

La fin de la guerre et la fuite en Espagne

La fin de la guerre approchant, Darquier de Pellepoix retrouve son mandat municipal et se fait oublier. A la Libération, il se cache dans un hôtel puis est abrité par son frère René à Neuilly avant de s’enfuir pour l’Espagne grâce aux amitiés franquistes d’Anatole de Monzie.

Il y travaille pour différents ministères, traduit des textes et discours antisémites et se pavane dans des soirées mondaines avec d’anciens collaborateurs et miliciens. En décembre 1947, il est condamné à mort par contumace par la Haute Cour de justice. En 1972, sa peine étant prescrite, il demande à rentrer en France. Ses interviews outrancières accordées aux journaux français le décrédibilisent encore un peu plus. Il meurt finalement en Espagne, le 29 août 1980.

 

Pour les Clionautes, Armand Bruthiaux