Ce numéro associe les investigations de Mediapart au savoir-faire de La Revue Dessinée. Cette édition spéciale est l’adaptation en bande dessinée de plusieurs enquêtes publiées en 2021 et 2022 par Mediapart. Organisé en huit reportages, ce numéro explore donc le monde merveilleux d’Amazon, cette entreprise devenue incontournable aujourd’hui.
La galaxie Amazon
L’entreprise est créée en 1994. Martine Orange et Vincent Sorel retracent l’histoire d’une entreprise devenue toute puissante, en partant du récent vol dans l’espace de Jeff Bezos. En 2020, le groupe a augmenté de 40 % son chiffre d’affaire et a doublé son bénéfice. Deuxième employeur aux Etats-Unis, il dispose d’une puissance financière comparable au PIB de l’Italie. Amazon exerce un fort lobbying pour ne pas risquer d’être démembré par une loi anti-trust. Les auteurs pointent quelques-unes des inventions de l’entreprise comme le one-click qui dope les ventes. Une des forces d’Amazon, c’est de mettre l’accent sur le virtuel alors qu’il y a toute une logistique derrière qui permet au sytème d’exister. Cela aboutit à un fort turn-over de la part des employés tandis que l’entreprise excelle dans l’art de l’optimisation fiscale. Depuis 2019, Jeff Bezos n’hésite plus à afficher sa fortune.
David Gaborieau, sociologue, qui a régulièrement travaillé en entrepôt, apporte son regard sur Amazon. Il souligne que l’entreprise change et que désormais les employés ne parcourent plus forcément des kilomètres mais se retrouvent à un poste fixe, comme chez Charlie Chaplin. Amazon, c’est 1,2 million de salariés dans le monde et 15 000 en France. C’est une entreprise où la syndicalisation reste faible.
Chair à carton
Ce reportage entraine le lecteur dans un entrepôt Amazon à Bretigny-sur-Orge. On suit plusieurs employés et on mesure la part des intérimaires qui sont finalement employés de façon structurelle. Alors que la productivité n’est écrite nulle part, elle est pourtant un fondamental d’Amazon. On s’interroge sur le nombre d’accidents du travail chaque jour. Le reportage se poursuit dans un autre entrepôt situé à Montélimar. Les conditions de travail sont pointées avec des problèmes de dos pour plusieurs employés et une chasse à la moindre pause y compris pour aller aux toilettes. Amazon surveille également les réseaux sociaux. Les représentants syndiqués semblent plus ciblés que les autres mais où que l’on soit un point commun : une colère sociale qui monte y compris en Allemagne.
Ecologie
Entre les différents reportages, on trouve des flashs sur les rapports entre Amazon et l’écologie. Le premier revient sur la plantation d’arbres par Amazon montrée comme un engagement envers la nature. Cela sent fortement le greenwashing. Le second encart s’interroge pour savoir comment moins polluer vue l’activité que mène Amazon. Si l’entreprise donne des chiffres de bilan carbone, celui-ci apparait bien sous estimé d’après les calculs des ONG. Le troisième encart creuse le fait qu’il est tout de même difficile, et en fait incompatible, de déplacer des milliards d’objets d’un bout à l’autre de la planète sans conséquence environnementale.
Les sacrifiés du Covid
Au temps du Covid, le cours de bourse de l’entreprise bondit, les commandes explosèrent mais qu’en fut-il de la santé des employés qui devaient assurer les cadences ? Le reportage montre le poids de l’entreprise dans ce monde des achats en ligne mais insiste surtout sur le fait que la distanciation imposée par les recommandations gouvernementales ne pouvait être tenue dans les entrepôts. Toute cette période d’intense activité se fit au dépens de la santé des salariés. Le nombre d’heures de travail augmenta considérablement et jamais l’entreprise ne fournit de masques. Jean-Baptiste Malet et Benjamin Adam énumèrent les différents jugements de condamnation envers Amazon et déplacent aussi la focale sur les Etats-Unis.
La bataille du livre
En France, plus d’un livre sur dix est vendu sur Amazon aujourd’hui. Un combat est clairement engagé entre l’entreprise d’un côté et le législateur de l’autre qui subit les coups de butoir répétés du géant américain. Cet affrontement est raconté sous la forme très convaincante d’une épopée médiévale. Les auteurs rappellent l’importance de la loi Lang de 1981 sur le prix unique du livre. Depuis, Amazon cherche à contourner les règles avec la quasi gratuité de la livraison. Ce qui est troublant, c’est de constater que cette politique est menée avec la complicité d’une entreprise publique, La Poste. Amazon investit à présent le domaine de l’auto-édition. De son côté, l’édition française connait des mouvements de concentration importants. Une double page finale rappelle qu’un monde sans Amazon peut exister, mais c’est en Chine.
Amazon go home
Amélie Poinssot et Valentine de Lussy évoquent le rapport entre Amazon et emplois. L’arrivée possible du géant états-unien fait souvent rêver les politiques. Mais Amazon trouve de plus en plus en face de lui une mobilisation de citoyens. Plusieurs cas sont évoqués dont un projet vers Rouen. Un entrepôt qui s’implante, cela peut signifier 2 000 aller-retours de véhicules pour une distribution de 330 000 colis chaque jour. Les auteurs montrent aussi que souvent Amazon renonce à un lieu mais a toujours un plan B en réserve. Une carte très éclairante montre que pour la France, la conquête de l’ouest reste à faire pour Amazon.
Alternant les différents points de vue, cette plongée dans le monde d’Amazon éclaire donc la réalité du géant états-unien. Elle montre à la fois son influence mais aussi que les citoyens peuvent conserver un poids et que la législation doit savoir s’adapter.