Au moment où la Politique agricole commune doit être révisée et alors que la pertinence des outils de cette politique est contestée l’auteur propose un bilan et une réflexion sur son devenir dans un monde globalisé.

 

Jean-Marie Séronie est ingénieur agronome et expert comptable, il connaît bien le milieu agricole français où il a exercé des missions de conseil.

Une PAC à bout de souffle ?

L’auteur choisit de retracer un peu de cette histoire qui commence à Stresa le 11 juillet 1958 quand est signé, sous l’égide du commissaire européen à l’Agri­culture Sicco Mansholt, l’accord qui donne naissance à la Politique Agricole Commune des six États membres. Son objectif, défini à l’article 33 du traité de Rome et encore inchangé, était ambitieux : accroître la productivité de l’agriculture, assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements, assurer des prix raisonnables aux consommateurs. Pour l’atteindre il est décidé d’établir une organisation des marchés agricoles. L’auteur montre une volonté commune de réussir le pari de rassembler six visions agricoles différentes : Les points de vue français et allemands divergent : priorité à l’économie en Allemagne, dimension sociale en France. Pour favoriser l’accord Sicco Mansholt a une attitude pragmatique : nécessité, dans un premier temps d’un certain protectionnisme du fait de la non-stabilité des marchés mondiaux (céréales, produits laitiers notamment), construction d’un marché commun pour favoriser les échanges et développer la spécialisation des territoires, modernisation et amélioration des structures des exploitations agricoles.

La mise en œuvre fut progressive (1960-1970) avec comme objectif prioritaire l’autosuffisance alimentaire et comme outil le Feoga, Fonds européen d’orientation et de garantie agricole.

Depuis ces débuts le contexte a changé : l’autosuffisance alimentaire est acquise en Europe (même si nous importons beaucoup de protéines pour l’alimentation animale), les empires coloniaux ont disparu, la libéralisation des échanges est une réalité. La chute du bloc soviétique et la montée en puissance du continent asiatique ont modifié le contexte géostratégique. D’autre part de nouvelles préoccupations sont apparues : aspect sanitaires de l’alimentation, transition écologique.

L’auteur s’interroge : la Pac est-elle victime de son succès, peine-t-elle à s’adapter à la mondialisation ?

Partant d’exemples l’auteur veut montrer qu’aujourd’hui les agriculteurs ne comprennent plus le sens le la PAC : Trop de paperasse, sentiment de n’être plus protégés (prix du lait), obligations diverses quand dans le même temps le consommateur comprend mal le montant parfois élevé des primes que touchent les agriculteurs. La PAC est devenue peu à peu illisible, son efficacité contestée. Pourtant l’Europe élargie a atteint assez rapidement l’ autosuffisance alimentaire, elle est devenue le premier producteur, le premier exportateur et le premier importateur mondial de produits agricoles. Les campagnes se sont modernisées, la productivité a augmenté maintenant le même niveau de prix à la consommation. Mais les critiques sont nombreuses : inégalité des aides, faible revenu de nombreux exploitants, distorsion de concurrence depuis que la marge de manœuvre des États au sein de l’Union s’est accrue. Depuis les années 2000 la volatilité des prix est une réalité sans oublier les critiques à l’égard d’une agriculture moderne destructrice de l’environnement.

Jean-Marie Séronie aborde le cas de lagriculture française souvent lente à s’adapter. Depuis 15 ans elle recule dans le classement mondial des pays exportateurs, aujourd’hui derrière l’Allemagne ou les Pays-bas, les revenus des agriculteurs, eux aussi baissent par rapport à nos voisins. Les organisations agricoles françaises dénoncent la distorsion de concurrence fiscale ou sociale au sein de l’Union, un trop-plein de normes françaises qui pénaliseraient son dynamisme.

Que reste-t-il de l’esprit de Stresa ?

Pour l’auteur « le budget de la PAC a représenté jusqu’à plus de 70 % du budget européen (il en représente aujourd’hui un peu moins de 40 %) »1 alors que les autres domaines ne sont que des incitations sans véritable politique commune. Ce ferment d’unité semble devenu un pôle de division dans le monde globalisé de l’OMC.

Comment la PAC en est-elle arrivée là ? .

Dans ce second chapitre, l’auteur recherche les causes de ce bilan.

Ce furent d’abord quinze années d’euphorie : les années 1960 et 1970 : augmentation des productions, garantie des prix par une politique de stockage-déstockage2. En matière de commerce extérieur l’auteur rappelle l’accord sur les importations de protéines végétales (tourteaux de soja) passé en 1962 avec les États-Unis (Genève – Dillon Round du GATT) pour éviter un contentieux sur les céréales.

Dès 1968 Mansholt alertait sur le risque de décalage entre la consommation et la production. Il proposait de rapprocher les prix européens de ceux du marché mondial et d ’améliorer la productivité des exploitations provoquant une véritable crise de la PAC en 1971 et un refus catégorique de la FNSEA. En soutenant une politique de modernisation de l’agriculture sans jouer sur les prix les années 80 ont aggravé la crise d’autant que ce fut aussi le temps de l’élargissement de l’Europe vers les pays méditerranéens avec la mise en place des fonds de mesures de financement pour moderniser l’agriculture de ces nouveaux États membres.

Les années 80 riment aussi avec stocks non maîtrisés (beurre) malgré l’instauration en 1984 des premiers quotas laitiers, subventions à l’exportation, et augmentation du budget de la PAC.

En 1994 les accords de Marrakech en créant l’OMC intègrent le volet agricole dans les accords commerciaux et imposent une réforme de la PAC.

La réforme Mac Sharry3, du nom du commissaire irlandais à l’agriculture, vise à sortir de l’impasse budgétaire et à rééquilibrer production et débouchés non sans grandes manifestations de mécontentement notamment en France avec des slogans du type « des prix pas des primes ». L’auteur analyse la situation des céréales, le gain pour l’élevage intensif, utilisant du maïs ensilage et évalue l’augmentation du revenu par actif agricole en France entre 1990 et 2000 à 40 % 4. Les aides financées par les contribuables sont devenues plus transparentes, se pose alors la question de leur légitimité et de leur équité ?

C’est aussi en 1992 lança que furent décidées les premières mesures agro-environnementales.

Dans la période récente 2000-2020 les objectifs de la PAC deviennent plus complexes. L’auteur évoque les conséquences de la chute du mur de Berlin. Il rappelle ,devant les craintes de l’élargissement, la décision de sanctuariser le budget de la PAC. Il montre aussi l’effet des négociations internationales (Doha), les prix européens se rapprochent donc progressivement des prix mondiaux. Les modes d’actions évoluent5, la PAC repose alors sur deux piliers. Le premier intégralement financé par l’Europe concerne les aides directes aux agriculteurs et les mesures de gestion des marchés. Le second pilier concerne le développement rural (installation des jeunes agriculteurs, soutien à l’agriculture biologique, mesures agro-environnementales) avec une différenciation selon les pays. L’environnement devient un nouvel objectif, des mesures deviennent obligatoires en 2003 pour prétendre à certaines aides, cette politique est renforcée à partir de 2014.

L’auteur s’interroge : la PAC a-t-elle été victime à la fois de l’élargissement de l’Europe et de la mondialisation ? Les agricultures européennes sont en effet directement en relation avec les marchés mondiaux. L’auteur constate une augmentation des risques pour les entreprises agricoles : économiques, techniques et sanitaires. Depuis 2014 des fonds de mutualisation des risques sont autorisés sans réelle politique européenne.

L’auteur compare les politiques européennes à celles de la Russie, de la Chine des États-Unis et du Brésil. Il conclut sur le fait que la souveraineté alimentaire reste un enjeu majeur pour tous les pays.

Réformer la PAC : une mécanique complexe

Lors des trois réformes (1962, 1992, 2003) l’auteur analyse le contexte intérieur à l’Europe, la situation internationale et le contexte politique au sein des états membres et montre que la réforme n’est possible que si ces trois éléments sont convergents.

Quelle est alors la situation présente ?

Ce qui analysé ainsi : une variabilité des prix dans un monde globalisé, une Europe fragilisée par le Brexit, des tensions internationales (politique économique de Trump), des contraintes budgétaires et des de mandes spécifiques des pays de l’Europe centrale et de l’Est renforcées par des pouvoirs populistes

L’auteur rappelle les démarches pour une réforme de la PAC : un processus long et complexe. Il analyse les différentes sensibilités faces aux questions agricoles et alimentaires entre les divers pays de l’Union, vision patrimoniale au Sud, plus économique au Nord. Il détaille la politique conduite par la France : attitude souvent défensive dans les négociations, approche environnementale légère, frilosité devant l’économie de marché, mesures correctives pour les secteurs en difficulté et volonté de préserver la densité agricole.

En conclusion la situation actuelle est caractérisée par un contexte incertain pour une réforme pourtant souhaitable.

 

Pour l’avenir : les chantiers sur la table des négociations

Quelles sont les grandes orientations politiques pour une réforme ?

Se plaçant du point de vue de l’expert, l’auteur décline les grands chantiers en définissant le bilan, les besoins et les évolutions possibles.

Il aborde tout d’abord la question des moyens et des méthodes : le budget6 et le mythe de sa stabilité, la complexité de sa mise en œuvre administrative, les évolutions dans le cadre du Brexit.

Le second chantier est celui des mesures environnementales qui reposent sur la notion de biens publics et de multifonctionalité de l’agriculture : l’auteur définit une architecture à trois étages : écoconditionalité ou respect des normes ; paiement vert ou maintien des surfaces de prairies permanentes, limitation des monocultures, surface d’intérêt écologique égal à 5% ; mesures agro-environnementales ou climatiques7. L’auteur montre que la juxtaposition de normes ne suffit pas pour une réel virage environnemental.

Enfin il se demande si une PAC unique pour toute l’Europe est possible, s’il faut des obligations de moyens ou de résultats, s’il faudrait rémunérer les services environnementaux, et comment inciter aux évolutions nécessaires.

La réforme de la PAC devra aussi résoudre le triangle infernal : L’Europe, les agriculteurs et le marché. Derrière ce triangle l’auteur place la volonté de souveraineté alimentaire de l’Europe, des agriculteurs laissés face aux marchés mondiaux pour favoriser les exportations européennes et un régime des aides déconnectées du marché. Au final une politique agricole qui est passée de la gestion des marchés à celle des crises. L’auteur pose la question de la gestion des risques par l’agriculteur à la gestion collective et la tentation d’aides « à l’américaine ».

L’auteur revient sur deux interrogations : Comment soutenir dans une politique unique toutes les formes d’agriculture ? Comment moderniser l’agriculture dans un contexte d’innovations technologiques croissantes?

 

Demain, quelle politique agricole en Europe ?

Le chapitre s’ouvre sur une déclaration de modestie de l’auteur, agroéconomiste qui n’a ni les moyens ni la légitimité pour définir une politique.

Quelles ambitions pour une politique agricole ? L’auteur propose de hiérarchiser les objectifs entre souveraineté alimentaire et respect de la COP 21. Il montre que l’agriculture est un enjeu géostratégique et s’interroge sur la pertinence à lier politique agricole et politique environnementale. En matière économique il pose la question du soutien aux entreprises : orienter ou soutenir les revenus. Faut-il une PAC pour l’agriculture de subsistance ? Une politique commune est-elle possible ou faut-il parler seulement de politique concertée ?

Au-delà des réflexions à l’échelle européenne l’auteur analyse la position française notamment de la FNSEA et la place de cette politique depuis les élections présidentielles de 2017.

 

Juin 2018, les actualités de la réforme

Ce chapitre présente la proposition faite par la Commission pour la période 2020-2027 : réduction de budget, choix des seuls grands objectifs communs, abandon du paiement vert, plus grande autonomie des états membres. Pour l’auteur il s’agit d’une vision plus technocratique que politique et d’une renationalisation rampante des politiques agricoles.

 

Dans son épilogue l’auteur rappelle qu’une nouvelle Commission sera mise en place en 2019.

 

L’ouvrage est complété d’un tableau chronologique , d’une bibliographie et d’une webographie ainsi que d’un glossaire bien utile des sigles.

 

 

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1p. 36

2Comme par exemple le « beurre d’intervention »

3 Encadré p. 47-48

4 Source : comptes de l’agriculture graphique p. 52

5 Encadré 4. Historique de la mise en place des soutiens directs aux agriculteurs. p. 56

6Graphique de l’évolution des dépenses 1980-2020 p. 98

7Voir détails en page 106