Le choix d’un sujet de thèse ne tient pas au hasard. Tous les doctorants, arrivés au bout de l’aventure, vous le diront ! On ne passe pas 3 à 4 années de son existence à travailler sur un sujet périphérique à ses préoccupations. Le sujet choisi nous touche souvent au premier degré. Cela aide à s’impliquer dans ce travail d’ermite.

Le choix du terrain de recherche

 

Ce fut le cas de Cécile Duvignacq-Croisé. Professeure agrégée, elle enseigne depuis vingt ans dans l’académie de Créteil. C’est son expérience de professeur au féminin qui l’a poussé à choisir d’étudier un sujet croisé : histoire de l’éducation, histoire du genre et géographie d’un territoire : la banlieue est-parisienne (5 cantons scolaires de la Seine et de la Seine et Oise, avec quelques incursions en Seine-et-Marne). La reconnaissance du féminin dans l’espace scolaire constitue pour Cécile Duvignacq-Croisé une préoccupation centrale. Elle fait débuter son étude en 1880 et rappelle que les lois Ferry (1881-1882), en rendant l’école laïque, gratuite et obligatoire n’ont pas instauré une égalité entre Hommes et Femmes. 1960 fait référence aux premières lois sur la mixité (lois de 1957 et 1959). Le terrain choisi vise à montrer comment l’éducation nationale a encadré une évolution sociologique profonde d’émancipation féminine dans un espace en train de s’urbaniser. Le travail est mené à la fois du côté des élèves et des enseignantes. Le cahier couleurs montre les écarts de salaires entre les dames-professeurs et les professeurs sociétaires (hommes). Si l’écart se réduit entre 1920 et 1926, il reste énorme (du simple au double).

 

Les sources exploitées

 

Les registres matricules des écoles et des lycées comme les monographies rédigées par les instituteurs pour l’exposition universelle de 1900 sont des sources incomparables pour établir une sociologie des communes de l’espace parisien. L’implication de Cécile Duvignacq-Croisé dans le service des archives départementales a favorisé son approche des sources. Elle a notamment dépouillé les archives personnelles de féministes, telles que Marguerite Baudouin ou Benjamin Raspail. L’auteur a aussi eu recours à la presse locale.

 

1880-1900 : le premier enseignement féminin

 

Par le biais de l’enseignement, la IIIème république se donne les moyens de transformer profondément et d’unifier la société française. Pourtant, les disparités entre ville et espace rural demeurent importantes. L’offre scolaire est très différente d’une commune à l’autre. La place des congrégations peut y être centrale et la République s’en accommode à défaut d’autres encadrements scolaires. Les subventions de l’Etat doivent permettre d’offrir la gratuité, y compris dans les établissements religieux. Fin XIXème siècle, la construction des mairies-écoles est une manière pour l’Etat et pour les mairies d’affirmer la puissance de l’enseignement laïque.

L’école des filles ne se voit tout de même pas reconnaître les mêmes missions que celle des garçons. Elle n’est pas là pour permettre la promotion sociale de l’individu mais est investie d’une « mission de transmission des valeurs et du groupe social. » Elle est d’ailleurs moins bien dotée en moyens que celles des garçons (y compris au niveau des écoles normales). Dans les écoles de filles notamment, un fort absentéisme (les filles de journaliers et de travailleurs dans l’horticulture donnent bien souvent des coups de main à leurs parents) est relevé : 20 à 40 jours par an. Le taux de mortalité en cours de scolarité (7% des élèves inscrits) témoigne à quel point les conditions de vie étaient difficiles. Avec l’ouverture des écoles normales de jeunes filles (1879, 1880 : ouverture de l’ENS de Fontenay-aux-Roses) débute un processus de laïcisation de l’enseignement secondaire féminin. Les différences de genre persistent. « Mademoiselle H, maîtresse adjointe, bien que pourvue du brevet supérieur, ne peut donner les leçons qui comporte cette partie du programme obligatoire (physique-Sciences Naturelles). Elle est, comme toutes les femmes du reste, impropre aux manipulations que cet enseignement exige. Mais elle pourra être une répétitrice utile sous la direction d’un professeur. » (p.75). Et c’est une femme qui le dit !

 

1900 – Années 1920 :
Les revendications féminines ou l’éducation et la place des femmes dans un espace en mutation

 

La première guerre mondiale a modifié les conditions des enseignées comme des enseignantes. La mixité dans les classes a du être imposée à défaut d’instituteurs ! Mais, les choses sont revenues en ordre une fois la guerre terminée ! Malgré tout, une tendance s’amorce sous l’impulsion des féministes (issues de la bourgeoisie). La figure de l’institutrice laïque s’impose dans le contexte de la séparation des Eglises et de l’Etat. Les familles se préoccupent davantage de prolonger la scolarité de leurs filles et une forte demande d’enseignement s’exerce (cours secondaires et enseignement professionnel à destination des filles). L’école est vue comme le moyen d’amélioration sociale et économique des femmes sans pour autant remettre en cause le rôle de la femme dans la société (vue avant tout comme une mère dévouée au bien être de ses enfants).

Des années 1930 à la fin des années 1950 :
enseignement féminin et réponses institutionnelles.

 

Ce rôle traditionnel de la femme continue à être enseigné dans les années 1930 : assistance et œuvres de solidarité en faveur des plus démunis sont menées dans le cadre de l’enseignement. Le rôle des associations de parents d’élèves s’affirme. Elles visent à influer sur le projet éducatif de l’école. A la différence des traitements entre hommes et femmes dans l’enseignement (voir plus haut) s’ajoute des investissement différenciés entre Paris et la banlieue. Les offres d’enseignement secondaires (masculin comme féminin) sont absentes dans les communes suburbaines. Aussi, les plus riches envoient leurs filles à Paris dans des institutions privées tandis que les autres n’accèdent pas à ce niveau d’enseignement. Il y a reproduction sociale et l’école ne joue pas son rôle. Les fortifs constituent à proprement parlés une frontière, une barrière sociale, jusqu’à leur destruction dans les années 20. La seconde guerre mondiale et l’Etat de Vichy reproduisent cet état de fait. L’école continue à enseigner des comportements sexués. Les choses ne changent qu’en 1959 quand les cours d’enseignement ménager sont intégrés dans des écoles techniques. Quant à la mise en place de la mixité, elle constitue un recul pour les enseignantes, victimes des fusions : les postes de direction étant accaparés par les hommes. Les intérêts des femmes en tant qu’individus reculent, malgré leur accession au droit politique.

A travers le texte de Cécile Duvignacq-Croisé, on voit s’urbaniser la région parisienne. Le texte est très clair, très fluide et parfaitement structuré. Un vrai régal de lecture. Pas étonnant qu’elle ait remportée le prix de thèse 2011 de Paris Est !

Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes