CR par Bertrand Quennoy

Stéphane beaud est sociologue et enseignant à l’ENS. Il travaille sur les transformations des milieux populaires de la France contemporaine (ouvriers, jeunes des cités, immigrés…). Il a publié, entre autre, Retour sur la condition ouvrière : enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard (sa thèse de doctorat), La France invisible en 2006.

La grève des joueurs de l’équipe de France lors de la coupe du Monde 2006, donne un éclairage sur le monde du football français : ses codes, ses usages et ses coutumes au début du XXIe siècle.
Une étude très documentée où sont utilisés coupures de presse, ouvrages de journalistes sportifs, biographies d’entraineurs, magazines spécialisés études sociologiques, mais aussi chat sur des journaux en ligne. Ainsi les citations d’autobiographies de joueurs finement sélectionnées plongent le lecteur de l’autre côté des caméras. En plus, au fil des pages, de petits encadrés viennent donner des explications plus poussées sur certains sujets ou faire des rappels historiques. Enfin chaque fin de chapitre comporte des conclusions très synthétiques.

L’auteur, dans les premières pages souligne le rôle omniprésent et décisif de la presse lors de cette affaire. Sa première hypothèse est émise grâce à la Une de l’Equipe, quotidien sportif n°1, qui a mis le feu aux poudres en rapportant les propos de vestiaire d’un joueur insultant son sélectionneur. C’est le signe que deux mondes qui se tournent maintenant le dos : le divorce de la presse avec des joueurs devenus des stars inaccessibles est consommé.

Cette affaire n’est pas seulement un simple emballement médiatique mais plutôt des rapports sociaux tendus entre joueurs, encadrement et journalistes qu’explique la première partie du livre. La seconde montre la transformation du football des années 1990 à 2000 dans le recrutement des joueurs jusqu’au foot business et mondialisé.
En revenant sur l’équipe de France 98, Stéphane Beaud écorche le mythe du foot Black-Blanc-Beur. Les vainqueurs de la coupe du monde étaient pétris des valeurs de travail et d’humilité de la France des Trente Glorieuses transmis par leurs parents et entraineurs. Comme Aimé Jacquet, leur coach, ils sont les héritiers de ce monde ouvrier et rural dans leur éducation mais aussi de par leur origine sociale. On est loin de cette image de France fraternelle et métissée où seuls trois individus étaient directement issus de l’immigration.

Un tableau comparatif complet des équipes de 1998 et 2006 radiographie les joueurs dans leurs aspects professionnels, matrimoniaux et sociaux montre une nouvelle génération originaire des banlieues, ancrée dans le capitalisme du football avec sa dose de médiatisation et « peopolisation ». Ainsi la fracture sociale est maintenant trop importante entre des sportifs qui ont des caractéristiques sociales trop différentes. Aussi les carrières plus précoces et internationales, depuis l’arrêt Bosman de 1995, cassent la sérénité et la stabilité des joueurs.
Pourtant l’explication simpliste de « caïds de banlieues » qui a surgi dans les médias dès l’annonce des évènements est réfutée. Stéphane Beaud veut casser le fantasme social de quelques meneurs issus des classes dangereuses des banlieues.

C’est d’abord le résultat d’une crise des institutions du football professionnel français et d’une rupture entre le sélectionneur et ses joueurs sur fond « d’ethnicisation » des footballeurs, résultat des effets indirects des tensions des « cités ». Peut-être même s’agit-il d’une réplique sociale et médiatique des émeutes des cités de 2005.

Les biographies de joueurs les montrent tiraillés entre deux types de migration : d’une part sociale, de la classe populaire dont ils sont originaires à la jet-set et, d’autre part géographique, des banlieues des grandes villes françaises aux quartiers chics. D’ailleurs, en appliquant au football français les études sociologiques sur les trois âges de l’immigration algérienne, l’auteur montre l’émergence des franco-algériens à travers les répercutions du conflit colonial, à la génération des beurs, puis à la construction récente de la culture de cité. Enfin le livre se clôt sur le problème brûlant des joueurs binationaux qui préfèrent le maillot de leurs aïeux à celui de l’équipe de France.

Cet ouvrage ne traite donc pas des effets de la grève des bleus sur l’opinion publique ou des conséquences politiques. Il est plutôt à considérer comme une histoire sociale des joueurs à travers leurs traits biographiques, mis en perspective par les transformations récentes du football professionnel.