Parmi les ouvrages qui font souvent référence à l’histoire la plus récente, et qui par voie de conséquence nous intéressent tout particulièrement, il y a le genre très particulier des thrillers, dont le maître incontesté a longtemps été Tom Clancy, et de nombreux autres auteurs d’outre-Atlantique, même si le français Jean-Christophe Grangé, a pu lui aussi peser dans ce domaine.
Pour ouvrir la nouvelle rubrique de la Cliothèque, « polars et thrillers » nous avons choisi cette publication des éditions du rocher, dont nous tenons à saluer, en la personne de Jean-Philippe Bertrand, la réactivité du service de presse.
L’auteur de cet ouvrage est présenté comme un ancien officier des forces spéciales et du renseignement militaire, et à ce titre les références qu’il donne à propos de l’organisation du service action de la DGSE sont parfaitement exacts. Il cite même le CPIS, le centre de formation de Perpignan, très peu connu en général en dehors des milieux militaires. Ce centre parachutiste d’instruction spécialisée forme les agents des forces spéciales, , c’est-à-dire les services action de la DGSE.
Dans cet ouvrage, il est clairement fait référence au phénomène de type wikileaks, c’est-à-dire à la diffusion massive d’informations sensibles, et bien entendu, dans un cadre romancé, à leurs conséquences tragiques.
C’est ici le cas, lorsque les coordonnées d’une trentaine d’agents en retraite du service action de la DGSE sont diffusées sur des sites Internet dont l’origine se révèle impossible à tracer. La conséquence de cette diffusion d’une liste de noms est relatée dans le roman, avec des exécutions sommaires commises par des groupes issus des gangs originaires de certains quartiers sensibles.
La description de l’organisation de ces groupes, qui sont régulièrement présentés dans les pages de faits divers est particulièrement intéressante, tout comme la structuration de l’organisation du trafic de stupéfiants, avec sa hiérarchie qui va du petit guetteur, jusqu’au chef de réseau, en passant par les grossistes et semi grossistes. Dans ce business, les différends commerciaux et les partages de territoire se règlent à l’arme de guerre de plus en plus souvent !
L’auteur fait également référence à l’action de Mohamed Mehra en 2012 dans la région de Toulouse et à l’utilisation de ces scooters, de grosses cylindrées, 400 cm³, qui semblent être devenu les véhicules privilégiés des membres de ces bandes. Il est vrai que la maniabilité de ces engins, qui présentent en plus l’intérêt de ne pas demander d’apprentissage particulier comme pour la moto, peut séduire ceux qui veulent disposer d’un moyen de transport rapide, maniable, et favorisant le décrochage rapide.
Dans la description qui est faite dans le roman de certaines actions, on retrouve la technique des voltigeurs du peloton motocycliste de la gendarmerie mobile, qui a été dissous en 1986, après la mort de Malik Oussekine. Le pilote transporte sur une selle biplace un voltigeur qui peut intervenir très rapidement et quitter les lieux encore plus vite après une intervention.
Au-delà des scènes de violence qui sont décrites de façon extrêmement réaliste, l’histoire apparaît comme plutôt bien ficelée, et s’inscrit dans le recyclage des agents des services spéciaux des régimes autoritaires renversés lors de la révolution arabe, de l’action des services secrets iraniens et chinois, le tout optimisé par l’action des hackers.
L’intérêt de cet ouvrage, outre la précision de la documentation, c’est qu’il présente l’ensemble des failles des sociétés démocratiques. À ce titre, et au-delà du thriller, les références au fonctionnement au sommet de l’État, sont multiples. On reconnaît en passant quelques personnalités politiques, même si on n’échappe pas aux clichés qui les concernent.
C’est sans doute dans ce domaine que l’on pourrait émettre quelques réserves. L’auteur, par choix idéologique personnel, ou peut-être par facilité, a tendance à considérer la totalité du personnel politique de la majorité actuelle comme, au mieux incompétente, au pire, faisant preuve de lâcheté. Peu importe en tout cas, l’histoire est bien ficelée et la description des personnages réaliste.
On aurait quand même pu attendre de quelqu’un qui a eu à commander des hommes dans des actions de forces spéciales, une approche un peu plus nuancée. Mais bien entendu, l’auteur a recherché « une bonne histoire », avec des rebondissements. Nous aurions pu suggérer, toujours à propos de la période d’avant 2012, d’évoquer la réorganisation des services de renseignements du précédent quinquennat, et là on sort de la fiction, qui semble avoir posé aux agents de terrain de très nombreux problèmes. Le pire, c’est que cela peut se lire en filigrane dans ce thriller.
Bruno Modica